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« Continuellement dans les bureaux de la guerre, il faisait placer aux armées les gens de son bord ; il trouvait moyen de les intéresser dans les fournitures et les marchés ; il ne négligeait aucune partie dans laquelle il pût avancer ces hommes, lie d’une nation corrompue dont ils deviennent l’écume dans les bouleversements et sur laquelle ils dominent durant quelques instants ; il en augmentait son crédit et se formait une faction. »

Quel jugement méprisant et haineux sur des hommes qu’elle ne connaissait pas, sur ces forces neuves de la Révolution démocratique que Danton utilisait d’abord dans l’intérêt de l’ordre public ! Il était sage de fixer, en les employant, ces énergies effervescentes. Et cette large politique, en atténuant les chocs intérieurs des ambitions et des appétits, aurait bientôt établi sur des bases très étendues le gouvernement révolutionnaire.

Danton ne livrait pas tout à ces hommes d’audace et d’aventure, ou du moins il ne livrait le commandement qu’à ceux qui, à ces qualités d’élan et d’initiative, joignaient l’habileté et la finesse. Il exaltait Dumouriez, et peut-être est-ce pour le faire accepter plus aisément de tous, et pour fortifier ainsi la défense nationale, qu’il ouvrait largement les emplois aux hommes ardents de la Commune. Ce que Mme Roland appelait la lie, Danton l’appelait un ferment. Contre lui la guerre des Roland fut sournoise et âpre. Je rappelle la note que j’ai déjà en partie citée :

« L’ennemi de tous les bons citoyens, l’ami du désordre et du carnage, qui publie ses prescriptions sous le titre profane d’Ami du Peuple, avait enveloppé dans sa liste tous les ministres, à l’exception de M. Danton. »

Ainsi disait le journal de Brissot, et l’intention est évidente de solidariser Danton avec Marat. Or, je trouve dans les Annales patriotiques de Carra la même note textuelle : c’est donc un communiqué du ministre de l’Intérieur, c’est du ménage des vertueux Roland que partait le trait empoisonné contre Danton.

Et maintenant, le voici accusé du vol du garde-meuble.

Jugez sur quels indices.

« Le vol du garde-meuble s’effectua, des millions passèrent aux mains de gens qui devaient s’en servir pour perpétuer l’anarchie, source de leur domination.

« Le jour qui s’ouvrit après ce vol important, écrit Mme Roland, d’Églantine vint chez moi à onze heures du matin, d’Églantine qui avait cessé d’y paraître lors des matines de septembre ; d’Églantine qui, la dernière fois qu’il y était venu, m’avait dit, comme par un sentiment profond de l’état critique de la France : « Jamais les choses n’iront bien si l’on ne concentre les pouvoirs ; il faut que le conseil exécutif ait la dictature, et que ce soit son président qui l’exerce. » D’Églantine ne me trouva pas ; je venais de sortir avec Mme Pétion ; il m’attend deux heures, je le trouve dans la cour à mon arrivée, il monte avec moi sans que je l’engage à le faire ;