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le but de ces perturbateurs ? — De calomnier le peuple, et d’éloigner du séjour de Paris les députés qui se rendent de toutes les parties de la France pour la Convention nationale. Nos ennemis pourraient-ils prendre une marche plus favorable à leurs desseins ? — Non, sans doute ; aussi soyez bien convaincus que ces ennemis ont parmi nous des agents qui, sous les dehors hypocrites du patriotisme, vont allumant partout le flambeau de la guerre civile. »

Et tout cela pour une rumeur inconsistante que le journal girondin surtout avait propagée et que Pétion accrédite ! Voici des entreprises d’escroquerie qui relevaient simplement de la police. Des filous, exploitant le patriotisme, se revêtaient d’écharpes municipales pour aller frauduleusement quêter dans les maisons au profit des soldats. Ils réquisitionnaient les bijoux et allèrent jusqu’à les arracher de force aux femmes qui les portaient. Ce vulgaire brigandage devient pour la Gironde une partie du plan formé par les « agitateurs ». « Il n’était pas difficile de prévoir, dit le journal de Brissot, que du massacre on irait au pillage. Aujourd’hui des brigands couraient les rues, arrachant aux passants leurs montres, leurs boucles, tous leurs bijoux, sous le prétexte de contribuer aux frais de la guerre ; mais le peuple sur lequel on ne manque jamais de rejeter ces crimes, le peuple qu’on espère en vain convertir en une horde de cannibales, le peuple a arrêté ces malfaiteurs ! »

La vérité est que la garde nationale, débordée, surmenée, ne suffisait pas au service de la police ordinaire. Elle garda négligemment le garde-meuble, et des voleurs, l’escaladant la nuit, enlevèrent des bijoux. C’est un fait divers sensationnel, je le veux bien, mais c’est un fait divers. Écoutez le journal de Brissot (17 septembre) :

« Le brigandage qu’on avait commencé dans les rues de Paris, il y a quelques jours, n’était qu’un essai par lequel on voulait marcher à la dévastation des propriétés nationales et aux sanglantes proscriptions. Cette ville immense renferme maintenant une foule de scélérats avides de sang et de butin, aux ordres de quelques furieux qui méditent la ruine de l’État, parce qu’ils savent bien qu’ils ne peuvent régner que sur des ruines. Le ministre de l’Intérieur a annoncé que cette nuit des brigands ont escaladé les murs du garde-meuble ; les portes ont été forcées, les effets ont été pillés ; l’on a enlevé tous les bijoux. Quelques-uns des voleurs ont été arrêtés : et peut-être remontera-t-on par eux à la source de ce vol, qui tient à une grande machination et à la situation actuelle de Paris. Hier dans la tribune de l’assemblée électorale, on déclama contre le pouvoir exécutif, on parla de loi agraire, etc. »

Ainsi tout est machiné ; les vols les plus explicables ne sont que l’exécution d’un plan mystérieux de bouleversement total conduit dans l’ombre par les ennemis de la Gironde. Roland intervient pour dramatiser encore ; c’est l’étranger qui a fait le coup, ou quelque personnage masqué qui rémunère ainsi ses séides et marche sans doute à la dictature par ces moyens de roman.