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grossir l’effet, les provocations isolées et à peu près vaines de Marat, s’ils s’étaient groupés autour de Danton pour travailler résolument, exclusivement, au salut de la patrie et à l’organisation de la liberté, bientôt Paris même serait revenu de ses préventions, et toute la France révolutionnaire unie aurait fondé la République immortelle. Mais ils voulaient être les seuls maîtres, les seuls dirigeants ; tout froissement leur était une blessure intolérable. Ils voulaient s’épanouir seuls, comme une fleur éclatante et jalouse, au sommet de la Révolution.

Presque tout de suite leur plan fut formé. Ils songèrent à exploiter les massacres de septembre, à en attribuer la responsabilité directe à la Commune et à Robespierre. Ils s’appliquèrent à affoler les esprits, à semer la panique, à montrer que tant que les influences parisiennes subsisteraient, il n’y aurait ni liberté, ni sécurité ; que l’anarchie, après avoir attenté aux personnes, attenterait aux propriétés, et qu’il fallait éliminer toutes les forces de désorganisation qui faisaient le jeu de l’ennemi.

On a dit souvent (et M. Moutier le répète) que jusqu’au 10 septembre les Girondins et en particulier le journal de Brissot ne font entendre aucune parole de blâme contre les massacres de septembre. Ce n’est pas exact : j’ai déjà montré comment, dès le 3 septembre, Brissot cherche, presque sournoisement il est vrai, à engager la responsabilité de la Commune.

Dès le 4 la tactique se précise, et voici comment Brissot commente la lettre de Roland annonçant de nouveaux troubles autour de l’Abbaye, et mettant sous la responsabilité des dépositaires de la force publique « la vie d’un seul citoyen arbitrairement sacrifié ». Brissot dit : « M. Roland déclare qu’il ne croit plus que la violation des prisons et le massacre des prisonniers aient été l’effet de l’indignation spontanée du peuple ; les effets n’en auraient pas été d’une aussi longue durée. Des hommes en armes sont encore autour des prisons, et se disposent à inonder les souterrains où ils présument que des prisonniers se sont cachés. On menace la vie des signataires de la pétition des 20 mille. Des monstres, tout dégoûtants de sang, ont été en demander la liste au Comité de surveillance, elle leur a été énergiquement refusée. » Mais, si les massacres ne sont pas l’effet spontané de l’indignation du peuple, si Roland s’est trompé en paraissant le croire le premier jour, il ne s’agit plus de « tirer un voile ». Il faut savoir, au contraire, quelle est la force qui organise ainsi le meurtre.

Je ne rechercherai point dans quelle mesure les massacres furent spontanés ou organisés. Ce sont là des mots d’une signification très flottante. Lindet, neuf ans après, dans sa lettre à Serieys sur la tragédie la Mort de Robespierre, me paraît avoir exagéré beaucoup la part de l’organisation.

« Les autorités constituées (c’est-à dire la Commission des Douze, de la Législative, le pouvoir exécutif et le maire de Paris) parfaitement unies, exerçaient une puissance absolue. La masse du peuple était obéissante et