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tant presque toutes chrétiennes, il n’y avait là ironie ou profanation. Une harmonie toute naturelle s’établissait dans leur âme entre les émotions religieuses de leur enfance et de leur jeunesse, douces encore au cœur endolori, et les hautes émotions sacrées de la liberté, de la patrie, de l’avenir. Mais celles-ci étaient plus vivantes. Si le prêtre s’insurge contre la liberté, que le prêtre soit frappé ; si la religion ancienne tente d’obscurcir la foi nouvelle, la foi à l’humanité libre, que la vieille religion s’éteigne, et que la lampe mystique soit remplacée dans l’église même par la lampe du travail sacré, celui qui vêt, abrite, protège les défenseurs de la liberté et du droit.

Ainsi jaillissaient des pensées nouvelles, ainsi grandissaient de subites révoltes qui relevaient les fronts inclinés de jadis, et faisaient, si je puis dire, éclater la voûte basse des vieilles églises accoutumées aux sourdes paroles de résignation. Les hommes aux camps ou dans les hôtels de ville, combattant ou élisant, c’est-à-dire combattant encore, les femmes travaillant dans les églises d’un travail plus fervent qu’une prière, c’est de tous ces foyers aux lueurs convergentes que jaillit l’ardente Convention.

Mais les partis détournèrent ou brisèrent ce grand mouvement pour l’accaparer. La Gironde pouvait se croire victorieuse et, comme nous l’avons vu, Brissot, dès le 10 septembre, se félicitait du résultat. Il semblait bien, en effet que, hors de Paris, c’est elle qui triomphait. À l’égard de la Commune de Paris, de Robespierre et de Marat, les départements, sans se prononcer nettement ou violemment, avaient quelque défiance. En tout cas Marat, dès le 15 septembre, proclame sa défaite et appelle presque à l’insurrection :

« Odieux moyens employés avec succès dans les départements pour appeler à la Convention nationale les traîtres qui se sont toujours montrés les plus cruels ennemis du peuple. Malheurs qui seront la suite de l’indigne choix des départements, si le peuple ne reste pas debout, jusqu’à la fin des travaux de la Convention. Nécessité indispensable de la faire siéger dans un vaste local sans garde quelconque. — A l’ouïe du mode décrété d’élection des députés à la Convention nationale, j’ai jeté les hauts cris. (Il s’agit de l’élection à deux degrés.) Je n’y voyais qu’un moyen artificieux employé par l’Assemblée pour remplir d’hommes corrompus le conseil suprême de la nation, en conférant à des corps électoraux le choix des représentants du peuple, choix qui appartient essentiellement aux assemblées primaires. J’avais prévu les cabales odieuses qui agiteraient les électeurs, les moyens de séduction qui seraient employés pour les corrompre, et j’avais résolu l’objection élevée contre les nominations faites immédiatement par les citoyens assemblés dans leurs sections… Ce que j’ai prévu est arrivé dans tous les points de l’empire ; l’intrigue, la fourberie, la séduction et la vénalité (Roland, l’automate ministériel, a prodigué l’or à pleines mains pour faire nommer tous les écrivailleurs brissotins) se sont réunis pour influencer les corps électoraux, et porter à la Convention nationale des hommes flétris pour leur incivisme, des hommes reconnus