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Sans l’admirable préparation économique et intellectuelle qui la rendait invincible, elle eût disparu dix fois dans ces nécessités contradictoires. Mais elle sut toujours, avec une puissance et une souplesse merveilleuses, utiliser à l’heure décisive la grande spontanéité collective du peuple héroïque, et maintenir pourtant dans les âmes le respect presque religieux de la loi, expression sacrée de la volonté générale. Elle put ainsi, sinon sauver tout son idéal, du moins mener à bien quelques opérations décisives qui rendaient impossible l’entier retour au passé, et créer quelques grands précédents, lumineux et forts, qui préparaient et annonçaient, par delà la nuit souvent reformée des réactions et des servitudes, l’avènement définitif de la liberté républicaine et de la démocratie.

Ce que dit l’assemblée électorale du Lot traduit la pensée à peu près unanime de la France révolutionnaire en septembre 1792. Mais on n’aurait qu’une idée bien inexacte de ces élections qui duraient huit ou quinze jours, durant lesquelles toutes les forces vives de la Révolution étaient concentrées à l’assemblée électorale, si on ne ressentait pas l’ardeur de patriotisme dont elles étaient toutes pénétrées.

Au travers des compétitions et des intrigues arrivaient les nouvelles impatiemment attendues des frontières. Longwy est-il pris ? Verdun résistera-t-il ? Ah ! que la France soit comme une fournaise et que la Convention forge le glaive ! Souvent les opérations électorales étaient interrompues ; c’étaient des dons patriotiques qui affluaient, des lettres chargées d’assignats, des bijoux, des bracelets, ceux de la fière paysanne et ceux de la riche bourgeoise : que tout cet or soit fondu pour la liberté ! Pendant que les hommes se réunissaient à l’assemblée électorale ou au club, les femmes se réunissaient dans les églises, non pour prier, ou tout au moins la prière était courte, mais pour travailler aux effets d’équipement, aux tentes, aux habits, à la charpie aussi. Qu’on lise les journaux de Paris : toutes les églises étaient pleines de femmes patriotes qui voulaient, suivant le beau mot de la Commune, ennoblir leurs mains au service de la patrie. Qu’on lise les lettres de Lebas et de son père : partout dans le Pas-de-Calais, dans le Nord, les femmes réunies le soir à l’église et y portant sans doute les pauvres lumières accrochées d’habitude au manteau de la cheminée, tricotaient, cousaient, effilaient le linge pour les blessés, tendaient parfois l’oreille dans le silence de la nuit aux rumeurs incertaines qui venaient de la frontière : est-ce le canon de l’ennemi qui gronde déjà aux environs de Lille ? Parfois un homme entrait, un révolutionnaire du bourg ou du village, et il haranguait ces femmes, il les conviait à la constance contre les périls prochains, à l’héroïque courage. Mères, c’est la patrie qui est la grande mère, la patrie de la liberté !

Parfois celui qui leur avait parlé d’abord familièrement, presque du seuil de l’église où l’avait appelé une clarté, gravissait, à la demande des femmes, les degrés de la chaire. Et pour aucune de ces femmes, restées pour-