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et veulent vous conduire à l’anarchie en vous engageant, s’il leur était possible, à porter les atteintes les plus funestes à la liberté politique, civile et religieuse… Citoyens, nulle société ne peut subsister sans le respect le plus inviolable pour la propriété. La Déclaration des Droits de l’homme, cet évangile si cher à tous les Français, consacre ce principe fondamental… Est-ce respecter la propriété que de se livrer à des dilapidations sous prétexte que les objets sur lesquels on les exerce appartiennent à des ennemis de la chose publique ? La loi et la loi seule peut punir la rébellion ; ceux qui ont abandonné leur patrie et qui reviennent armés pour l’opprimer, le Corps législatif a mis leurs biens sous les mains de la nation ; ces biens ne leur appartiennent donc plus, ils sont devenus des propriétés nationales ; les dégrader ou en percevoir frauduleusement les revenus, c’est priver la nation, c’est vous priver vous-mêmes d’une ressource précieuse dans les circonstances critiques où le peuple français est obligé de lutter contre la ligue des rois conjurés.

« Mais si vous devez respecter les biens, combien plus vous devez respecter les personnes ! Ils sont coupables, sans doute, ces monstres qui, détestant la liberté et l’égalité, veulent les ensevelir sous les ruines de la France désolée ; ils sont mille fois coupables, ces prétendus ministres d’un Dieu de paix qui, méprisant à la fois les lois divines et humaines, prêchent audacieusement la révolte, remplissent l’âme de leurs crédules sectateurs de scrupules et de frayeurs, et en les frappant fortement de la crainte de l’avenir, les rendent barbares par principe de conscience et leur font un devoir des plus affreux forfaits. Laissez librement passer, sortir hors du royaume et emporter chez nos voisins qui la désirent la peste religieuse dont ces êtres malfaisants sont infectés. La loi, citoyens, la loi, voilà le cri de ralliement de tous les bons citoyens. »

Ainsi, les démocrates révolutionnaires pouvaient craindre qu’une partie du peuple allât au delà de la loi, qu’il remplaçât pour les prêtres factieux la peine de la déportation par la peine de mort et qu’il devançât, par un partage anarchique, la mise en vente légale des biens des émigrés. Si à cette action spontanée et désordonnée avait été laissée partout libre carrière, la Révolution se serait dissoute en sauvagerie. Comment, par exemple, suivant quel principe et quelle règle les paysans se seraient-ils attribués les biens des émigrés ou les biens des communautés ? Que de querelles sanglantes auraient surgi entre les partageants se disputant le meilleur lot ! L’intervention souveraine de la loi était donc nécessaire pour ordonner ces vastes opérations, soit que les biens des émigrés fussent vendus par parcelles au profit de la nation menacée, soit que les biens communaux fussent répartis selon certaines règles précises.

Terrible alternative de la Révolution qui était obligée, tantôt comme au 14 juillet et au 10 août, de se sauver par le soulèvement spontané de la force populaire, tantôt de la contenir et de la refouler par la discipline de la loi !