Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quer sa grande œuvre d’une marque de classe trop étroite ; c’est que, suscitée par la croissance économique de la bourgeoisie mais aussi par tout le mouvement de la pensée humaine, elle entendait que le vœu général de la nation et la vaste compréhension des rapports humains s’exprimassent dans la loi. Ainsi, plus aisément sans doute que ne l’eût fait une assemblée de bourgeois industriels, de capitalistes et de fabricants obsédés par la hiérarchie de l’usine, la Législative, après le Dix Août, proclama le suffrage universel. Et les légistes de la Convention portent en eux la nation tout entière, dans tous ses états, comme le dit l’ouvrier Pointe ; ils portent en eux toute la démocratie révolutionnaire, et l’ouvrier stéphanois, expression de la partie la plus ardente, la plus consciente, du prolétariat français à cette époque, ne s’adresse point aux légistes bourgeois de la Convention comme à des hommes d’une autre classe, mais comme à des associés un peu gâtés par la fortune et la subtilité du talent, qui ont besoin qu’une force révolutionnaire toute neuve et toute directe ranime leur énergie et rompe leurs complications.

Au demeurant, les assemblées électorales d’où la Convention est issue étaient violemment hostiles non seulement à tout acte de pillage et d’anarchie, mais à toute atteinte légale au droit de propriété. La nouvelle des événements du 2 au 6 septembre leur parvenait à peu près au moment où, les élections terminées, elles allaient se dissoudre. Elles y provoquaient un assez vif émoi. Quoi ! si le peuple de Paris n’obéissait plus aux lois, s’il se substituait à la justice ajournée de la Révolution, s’il massacrait les contre-révolutionnaires, la contagion de l’exemple n’allait-elle point partout abolir la loi ? Le peuple, pour venger la Révolution sur ses ennemis, n’allait-il point et leur arracher leur vie et leur arracher leurs biens ? Et lorsqu’il aurait pris l’habitude de s’installer en maître dans les propriétés des émigrés, de se les répartir sans l’intervention de la loi, lorsque, bientôt, par un entraînement naturel et une transition presque inévitable il aurait dépouillé les Feuillants, les bourgeois modérés et rétrogrades, qui lui apparaissaient comme les complices de l’émigration et du roi, quelle borne marquera encore le commencement du droit de propriété ? De proche en proche, toute propriété constituée deviendra, sous prétexte de Révolution, la proie des audacieux. Au bout des journées de septembre et de la violente action populaire l’instinct conservateur des possédants, de tous les possédants, bourgeois et paysans, voyait la loi agraire. Celle-ci, cessant d’être un fantôme, semblait prendre corps. Aussi, en plusieurs assemblées électorales, y eut-il ou des protestations explicites contre toute idée de loi agraire, ou une affirmation solennelle du droit de propriété. C’était une précaution contre les violents. C’était aussi une réponse au commentaire venimeux de la contre-révolution qui annonçait partout la loi agraire comme la conséquence logique et inévitable de la Révolution elle-même.

À Montauban, tout près de ce Quercy, où les paysans, comme nous l’avons vu, avaient violemment aboli, et sans indemnité, les droits féodaux bien