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ici, comme il convenait en cette région où la classe des ouvriers et artisans a une avance sociale si marquée, un ouvrier, le seul, absolument le seul qui ait été envoyé à la Convention : Pointe cadet (Noël), ouvrier armurier à Saint-Étienne. C’était, il faut bien l’avouer, un homme assez médiocre, et il n’a point laissé de traces sur le chemin révolutionnaire. Je ne trouve guère de lui que deux opinions écrites, à propos du jugement et de la condamnation de Louis XVI. C’est souvent d’une littérature emphatique, prétentieuse et banale, comme celle où s’essayent parfois les ouvriers écrivains ou les ouvriers poètes, qui n’ont pas le courage et le sens de parler simplement la langue simple et savoureuse du peuple.

« Je ne prétends pas, citoyens, par le soleil de la philosophie, dissiper les nuages sophistiques dont on enveloppe la question de savoir si l’assassin de la nation française peut ou doit être jugé. » Voilà la phrase du début. Pointe a même la faiblesse, en cette grande crise, de rimer six vers plus qu’inutiles :

Si du cruel tyran la noire barbarie
Trouve des protecteurs : ah ! ma chère patrie !
De sa férocité tu dois encor souffrir.
Mais si ma faible voix ne peut se faire entendre,
À quel prix que ce soit, je prétends te défendre ;
J’ai pour dernier effort tout mon sang à t’offrir.

Si Pointe avait fait rédiger son opinion par un collègue, celui-ci n’aurait probablement pas eu la fantaisie de versifier ainsi, et sans doute aussi, avec cette habitude de la versification et ce souci de la syntaxe qu’avaient les bourgeois du XVIIIe siècle, il eût évité l’incorrection grammaticale du cinquième vers. Le morceau est bien de Pointe lui-même. C’est donc un ouvrier, en somme assez instruit et passablement maître de la langue, que Rhône-et-Loire envoya à la Convention.

Il avait le sentiment de l’importance particulière de son élection. Toujours en tête de ses opinions imprimées, il écrit lui-même : « Opinion imprimée de Noël Pointe, ouvrier armurier de Saint-Étienne ». Et dans chacune il fait allusion à sa condition. « N’étant pas de ces hommes, dit-il dans la première, qui ont cultivé les talents de la parole, l’éloquence ne fut jamais mon partage. » Et dans la seconde (15 janvier 1793) il dit une parole qui a une grande portée. Il rabroue rudement la Convention pour ses hésitations et sa mollesse : « La postérité s’étonnera, citoyens, d’apprendre que les représentants du peuple français, les fondateurs d’une vaste et immense République, aient été si longtemps à se décider sur le sort d’un tyran parjure et assassin. Elle s’étonnera de ce que le premier jour de votre réunion vous eussiez le courage de renverser le trône en abolissant la royauté et que deux mois ne vous suffisent pas pour faire le procès au despote qui en était déchu par tant de trahisons et de cruautés. Elle s’étonnera de ce que vous