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« Il n’est pas non plus incendiaire, car s’il a proposé de donner aux sans-culottes les dépouilles des aristocrates, il ne peut pas être accusé d’avoir voulu les incendier. Quant au système du partage des terres qu’on lui impute, il a une trop mauvaise idée des mœurs de ses concitoyens pour être tenté de faire jamais une telle proposition ; car le partage des terres et des propriétés ne peut avoir lieu qu’au milieu d’hommes parfaitement purs et tous vertueux ; or, Marat, je le dis encore, est bien trop éloigné d’avoir une idée assez avantageuse de ses contemporains pour faire une pareille proposition.

« J’ajoute encore pour tous les modérés, que quand tous les reproches qu’on lui fait seraient vrais, comme on le représente comme un désorganisateur, il faudrait l’attacher à l’organisation ; je dis donc que pour cette raison les modérés doivent le porter à la Convention. Pour la même raison, les aristocrates doivent l’y porter, car la Convention nationale n’ayant aucun droit sur la liberté de la presse et le peuple ayant seul l’inspection de cette partie, si Marat n’est pas de la Convention nationale, il écrira contre eux, et certes le peuple ne se chargera pas du soin de les venger ; il est donc de leur intérêt de l’y faire entrer pour lui donner des occupations qui le détournent de celles de les poursuivre.

« Les chauds patriotes doivent également l’y porter ; car, quoique la députation de Paris s’annonce sous les meilleurs auspices et que j’espère bien que le reste du choix répondra à ceux qui sont déjà faits, il ne faut pas se flatter que les départements vous envoient tous des Robespierre, des Danton, des Collot d’Herbois, des Manuel et des Billaud-Varennes ; je dis donc que, quand nous serions sûrs d’être cinquante enragés à la Convention nationale, ce ne devrait pas être un motif pour négliger d’y faire entrer le cinquante et unième. Je dis donc que les chauds patriotes doivent encore y porter Marat. »

Je fais la part, dans cet étrange boniment électoral, de la grossièreté d’esprit et d’âme du capucin débridé. Marat anime ses violents et sanglants paradoxes d’une sincérité si passionnée, d’une colère et d’une souffrance si aiguës que, jusque dans l’impression pénible qu’ils laissent à l’esprit, il entre quelque respect. Chabot les convertit en lourdes facéties de couvent, et ils deviennent odieux. Mais ce que je voulais retenir, c’est que Chabot a traduit évidemment la pensée de beaucoup de ceux qui élurent Marat. Ils espéraient le calmer, le neutraliser et noyer cette flamme importune.

Ce n’est pas ainsi qu’on aurait pu parler aux Jacobins d’un homme en qui Paris aurait senti battre son cœur. Paris, tout en nommant d’abord et au premier rang Robespierre, n’avait pas voulu non plus se livrer à lui. Paris, en écartant la Gironde, avait voulu simplement marquer son désir d’en finir avec les demi-mesures, avec les combinaisons trop dilatoires et trop habiles, et donner à la France révolutionnaire l’élan décisif vers la liberté et la victoire. Et au fond, les départements, quand ils nommaient la majorité des