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HISTOIRE SOCIALISTE

matique de Guy-Kersaint, mais dans le journal de Brissot, et non à la tribune électorale :

« Les anciens peignaient la calomnie un poignard à la main ; en effet, les calomniateurs et les assassins sont frères. Calomnié aujourd’hui à la tribune électorale, demain, je le sais, je puis être certain d’être immolé… Celui qui m’accuse d’avoir voulu fonder le Feuillantisme sur les ruines des Jacobins est un calomniateur ; celui qui m’accuse d’avoir changé d’opinion sur la déchéance du roi, est un menteur… Je déclare que c’est porter atteinte aux Droits de l’Homme que d’ouvrir une tribune publique où la discussion sur les individus n’est cependant permise qu’à ceux qui ont un intérêt immédiat à déprécier, à écarter des suffrages tout ce qui n’est pas eux. »

Vaine protestation perdue dans la clameur populaire, et que la Gironde, d’ailleurs, ne prodigua pas. Elle attendait amèrement sa revanche des départements.

À Paris, c’est Robespierre et Danton qui sont, si je puis dire, les grands électeurs. Danton, auquel le journal de Prudhomme reproche lourdement sa complaisance pour des artistes peu préparés au rôle de législateur, intervient en faveur de Fabre d’Églantine, le spirituel et ingénieux auteur comique, et du grand peintre David. Danton voulait marquer son large sens de la vie, et comment la force révolutionnaire devait non abolir mais passionner et soulever l’art. Marat ne fut pas élu sans résistance. Et c’est encore un signe que presque aussitôt après les massacres de septembre une réaction contre le meurtre se produisait. Le journal de Prudhomme, quoiqu’il cherchât à capter l’extrême démocrate, le prend à partie sans ménagement. Il est vrai qu’il y avait entre l’Ami du Peuple et les Révolutions de Paris rivalité de vente et d’influence. Mais le journal de Prudhomme ne se serait point risqué à ses venimeuses attaques si la popularité de Marat eût été au plus haut.

« Nous sommes fâchés que Marat, toujours trop plein de lui, fasse déborder des sentiments qui s’accordent mal avec la moralité d’un législateur patriote. Les listes de proscription qu’il lâche de temps à autre dans le public n’offrent pas toujours un caractère d’impartialité et de justice, si nécessaire à des mesures aussi violentes. Quelquefois, Marat s’oublie au point de laisser croire qu’il porte ses vues jusqu’à la dictature… Marat est loin d’avoir manifesté dans sa conduite autant de courage qu’il a montré d’audace dans ses pamphlets. Il s’est tenu si exactement sous le voile qu’on l’a cru longtemps expatrié ou mort. C’est compromettre la vérité que d’en rendre les oracles du fond d’une cave… C’est à l’imposture sacerdotale à se retrancher dans les ténèbres. D’autres que Marat ont dit autant de vérités et d’aussi fortes, sans se cacher. Corsas et quelques autres encore n’ont point suspendu leurs travaux un seul jour ; ils ont écrit au fort même de l’orage et n’ont point eu peur. Marat s’est tu plusieurs fois et longtemps. Comme les Parthes, il n’a combattu qu’en fuyant loin du champ de bataille. Nous avons dit que Marat serait de