Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/108

Cette page a été validée par deux contributeurs.

bre 1792, il tint à la tribune le même langage, il exprima, au sujet des élections, le même regret :

« Étranger aux révolutions de Paris, je suis arrivé dans la confiance que je retrouverais ici mon âme indépendante, et que rien ne me ferait sortir de la voie que je m’étais tracée. Cependant des bruits défavorables, l’histoire des scènes de sang m’avaient aliéné. Et si ces scènes avaient été retracées au fond de nos provinces dans leur terrible réalité, peut-être, législateurs, nos assemblées électorales vous auraient commandé d’aller siéger ailleurs. »

Quel étrange langage : les révolutions de Paris, comme si elles avaient eu un caractère local, comme si le 14 juillet et le 10 août n’avaient été que des événements parisiens ! Mais ces regrets mêmes de Buzot, et les reproches qu’il adresse à ses amis, aux journalistes, c’est-à-dire à Brissot, à Carra, à Condorcet, aux députés, c’est-à-dire à Vergniaud et à la Commission des Douze, démontrent que les dirigeants de la Gironde ne mêlèrent pas les journées de septembre aux élections. Ainsi l’élan révolutionnaire ne fut pas brisé. Ainsi le parti révolutionnaire put opposer sa force d’unité encore intacte à tous les ennemis de la révolution du 10 août, aux royalistes et aux Feuillants.

Et Buzot lui-même, quoiqu’il fût en somme averti des événements, garda le silence. Il n’osa pas rompre l’unité morale qui, en cette heure vraiment décisive où la Convention naissait, sauva la liberté et la patrie.

Ce n’est pas que les deux partis n’aient cherché à tourner à leur profit les élections. De nombreux envoyés de la Commune de Paris propageaient dans les provinces le nom de Robespierre et le louaient. Mais souvent leur exaltation même, leurs déclarations ambiguës ou inquiétantes sur la propriété desservaient leur cause. Les Girondins avaient, dans l’ensemble du pays, une grande avance. La popularité de Roland, qui avait tenu au roi un ferme langage, et qui, après le 10 août, était rentré en vainqueur au ministère, était encore intacte dans les départements et elle se communiquait aux candidatures girondines.

Peut être à ce moment Robespierre regretta-t-il de s’être exclu lui-même par la loi d’inéligibilité, de la Législative ; il éprouva sans doute qu’il avait laissé à des rivaux tout l’éclat du pouvoir, et les principaux moyens d’action. C’est Vergniaud qui présidait la Commission des Douze, qui avait proposé les décrets décisifs. C’est donc la Gironde qui de loin résumait pour le pays les grandes forces révolutionnaires. L’habileté fut grande aussi, de la part de Roland, d’envoyer, aux assemblées électorales, la justification du Dix Août qu’au nom de la Législative l’illustre Condorcet, le philosophe ami de la Gironde, attaqué par Robespierre et glorifié par Brissot avait rédigée. La pensée de la Gironde semblait ainsi se confondre avec la pensée de la Révolution. Et c’est elle qui semblait marquer de son sceau les grandes choses accomplies. Salaire démesuré sans doute, mais équitable en principe, des hommes qui acceptent les responsabilités directes de l’action. Les Girondins,