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de la Révolution ne débordait pas ; il s’était affaissé au contraire, et c’est de peur que la Révolution immobilisée sur une mer plate fût à la merci de l’ennemi que la Gironde déchaînait la guerre comme un vent de tempête. Avec quelle étourderie ! Avec quelle imprévoyance et quelle infatuation ! Quand on compte, pour réaliser un bilan de politique intérieure, sur les sentiments qu’excitera dans le peuple l’émotion de la guerre, quand on compte sur la colère que provoquera en lui la trahison, il faut s’attendre à toutes les fureurs et à tous les aveuglements ; il faut avoir fait d’avance le sacrifice entier de soi-même ; il faut prévoir que le soupçon de trahison n’enveloppera pas seulement les traîtres, mais peut-être aussi les bons citoyens ; il faut être prêt à pardonner au peuple qu’on aura ainsi soulevé, toutes les erreurs, toutes les violences.

Or les Girondins se flattaient de gouverner à leur aise ces sombres flots. Ils se flattaient de marquer aux colères patriotiques et populaires leur limite et leur chemin. Ils se croyaient les guides infaillibles et à jamais souverains, les maîtres du noir Océan, et ils s’imaginaient que sous leur conduite la barque de la Révolution repasserait aisément le Styx de la guerre, après avoir porté aux enfers la royauté morte.

La politique de la Gironde va donc se préciser ainsi. Elle ménagera le roi, pour ne pas découvrir trop brutalement son jeu. Elle harcèlera et attaquera les ministres jusqu’à ce qu’elle les ait obligés à prendre à l’égard de l’étranger une altitude provocatrice. Elle grossira les futiles incidents de frontière créés par la présence de quelques milliers d’émigrés à Coblentz ou à Worms. Au lieu de calmer les susceptibilités nationales, elle les excitera sans cesse ; et elle entraînera l’Assemblée, d’ultimatum en ultimatum, à déclarer la guerre. Elle se tiendra prête soit à gouverner au nom du roi, s’il se remet en ses mains, soit à le renverser dans la grande crise de la guerre et à proclamer la République. Et par un jeu d’une duplicité incroyable elle excitera tout ensemble et rassurera le pays, elle préparera la guerre en disant que les puissances ne la veulent pas, ne peuvent pas la vouloir.

Tout d’abord l’Assemblée, après le premier éblouissement du discours de Brissot, parut sentir le danger, et des conseils de prudence furent donnés. Koch, député du Haut-Rhin, démontra dans la séance du 12 octobre que les rassemblements d’émigrés ne pouvaient en aucune manière constituer un danger.

Vergniaud reprit, le 25, la thèse de Brissot et affirma que pour la France de la Révolution la sécurité serait dans l’offensive : « Certes je n’ai point l’intention d’étaler ici de vaines alarmes dont je suis bien éloigné d’être frappé moi-même. Non, ils ne sont pas redoutables ces factieux aussi ridicules qu’insolents, qui décorent leur rassemblement criminel du nom bizarre de France extérieure ; chaque jour leurs ressources s’épuisent. L’augmentation de leur nombre ne fait que les pousser plus rapidement vers la pénurie la plus absolue