Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sourde et de déloyauté continue. Il répète sans cesse qu’il fallait qu’on touchât le tuf de la Constitution, et il fait l’aveu impudent de sa méthode de désorganisation sournoise. Par exemple, au moment où les hauts officiers semblent faire grève et refuser le commandement du port de Brest, dont les marins s’étaient plusieurs fois soulevés, un ancien chef d’escadre, M. de Peynier, se montra disposé à accepter.

« Depuis longtemps il habitait un château qu’il avait dans les montagnes de Bigorre, où il n’était en relation avec personne. J’imaginai un moyen de tirer parti de cette circonstance, de manière à augmenter ma popularité au conseil et à rendre à M. de Peynier le service de lui faire apercevoir les conséquences de son acceptation. Je lus sa lettre le même jour au conseil, et après lui avoir donné tous les éloges qu’il méritait, je proposai au roi, que j’avais mis dans le secret, de témoigner sa satisfaction à M. de Peynier, par une lettre dont je lus le projet, et de le nommer sur-le-champ commandant de la marine à Brest, au lieu de M. de la Grandière, qui venait de refuser cette place.

« Ces deux propositions furent adoptées et fort applaudies par tous les ministres, qui étaient d’avis que j’expédiasse un courrier à M. de Peynier pour lui porter la lettre du Roi ; mais j’observai qu’il la recevrait presque aussitôt par la poste qui partait le lendemain, et qu’il était d’autant plus inutile de faire la dépense d’un courrier extraordinaire que rien ne périclitait à Brest où M. Bernard de Marigny, excellent officier, commandait par intérim.

« Le véritable motif qui m’empêchait d’y mettre plus de diligence était l’importance que j’attachais à ne pas faire parvenir la lettre du roi à M. de Peynier avant celles que je m’attendais bien que ses amis lui écriraient, pour lui faire connaître l’état actuel de la marine et le mettre à portée de prendre un parti définitif avec connaissance de cause ; il en résulta que M. de Peynier dans sa réponse à la lettre du roi, refusa le commandement de la marine de Brest et rétracta son acceptation du nouveau grade dont il avait été pourvu. J’avoue que malgré mon serment à la Constitution, le rétablissement de la subordination dans les ports et sur les vaisseaux me paraissait impossible sous le nouveau régime, je croyais pouvoir désirer en conscience que tous les officiers distingués du corps de la marine abandonnassent, au moins pendant quelque temps, un service qu’ils ne pouvaient plus continuer avec honneur, et sans s’exposer à être assassinés. »

Quel fourbe ! Mais ce système de trahison sournoise contre la Révolution n’avait rien de décidé, et la politique royale semblait impuissante comme la Révolution elle-même.

Dans ce désarroi général et dans cette sorte de paralysie momentanée des partis et des forces, Brissot, avec une audace extraordinaire, vit dans la guerre le seul moyen de déterminer un mouvement nouveau, d’aiguillonner l’énergie