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d’aller à Fontainebleau ou à Compiègne, de choisir un nouveau Ministère qui n’eût coopéré en rien à la Constitution et à son acceptation, et d’y aller avec sa garde propre. Ou l’Assemblée nationale eût refusé, et elle constituait la servitude du roi, ou elle eût accepté, et le roi se délivrait des chaînes de son Conseil, il s’en faisait un vigoureux des royalistes affectionnés. M. de Montmorin a insisté à trois reprises ; il s’est jeté aux genoux de la reine ; tout a été inutile, on s’est effrayé des conséquences et de la crainte d’une insurrection. »

Je ne crois pas un mot de ce récit, en ce qui touche Montmorin. Il trompait tout le monde : il ne fut point fâché de persuader à Malouet et à Mallet-du-Pan, qui l’avaient chargé d’un message vigoureux et d’un plan redoutable, qu’il s’était heurté à l’inflexible résistance du roi et de la reine, et que de désespoir il se retirait. S’il était parti par dégoût de voir ses conseils énergiques repoussés, il n’aurait pas demandé (d’ailleurs en vain), à rester au Conseil avec 50.000 livres de rente, sans portefeuille ministériel. Et nous ne le retrouverions pas mêlé à la politique occulte de Louis XVI.

Il cherchait simplement à éluder les responsabilités officielles, apparentes, qui pouvaient subitement devenir lourdes. Le roi, ne sachant quel fond faire sur ses services ni quel jugement porter sur son caractère, ne le retint pas. En cette période étrange, les ressorts sont partout détendus, l’énergie populaire sommeille et le courage des ministres fléchit.

Quant à la Cour, elle est tellement à la dérive que, pour remplacer Montmorin et pourvoir au ministère le plus important à cette heure, celui des affaires étrangères, elle n’a aucun plan. Elle semble même redouter d’y avoir un homme à elle, de peur qu’il se perde et la perdre. Elle ne s’occupe pas non plus d’y mettre un homme connu pour son dévouement à la Révolution et qui puisse apaiser les esprits en les rassurant. La reine écrit le 19 octobre, quand Montmorin avait déjà remis sa démission au roi :

« J’ai vu M. du Montier, qui désire fort aussi ce Congrès (des puissances). Il m’a même donné des idées pour les premières bases, que je trouve raisonnables. Il refuse le ministère et je l’y ai même engagé. C’est un homme à conserver pour un meilleur temps et il serait perdu. »

D’autre part, elle écrit à Mercy le 1er novembre : « Le malheur est que nous n’avons pas un homme ici auquel nous fier… M. de Ségur refuse les affaires étrangères : elles sont vacantes et la publicité de tous ces refus rend le choix presque impossible. »

Mercy insiste par une lettre du 6 novembre : « Il faut un ministère éclairé et fidèle, et, s’il n’est pas possible de l’établir ici, il conviendrait d’y suppléer quoique très imparfaitement, par un conseil secret, composé de quelques personnes d’une habileté reconnue, d’un attachement à toute épreuve et capables de suggérer la marche journalière à tenir. Rien n’annonce encore que l’on se soit occupé à former ce ministère convenable. Le choix de M. de