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Quand M. de Mercy, qui correspondait avec Mirabeau par l’intermédiaire de Lamarck, quitta Paris en août 1790, il fut convenu que le ministre Montmorin serait mis dans la confidence des rapports de Mirabeau et de la Cour. Mais débile, de volonté faible, d’esprit fuyant et de petite santé, Montmorin ne s’engagea jamais bien avant en aucun sens. D’une part, il ne sut pas conquérir sur le roi et la reine assez d’autorité pour les maintenir dans la voie de la Révolution. D’autre part, bien qu’il semble impossible qu’il n’ait pas deviné les préparatifs de fuite, il ne fut jamais le confident du roi et de la reine.

Fersen déclare expressément que Bouillé et lui, en France, étaient les seules personnes dans le secret : et comment la Cour l’eût-elle confié à Montmorin puisqu’elle voulait le cacher à Mirabeau ? Montmorin semble avoir évité d’approfondir les intrigues qu’il soupçonnait, de peur d’être obligé de prendre un parti et d’assumer des responsabilités.

Quand s’ouvre la Législative les événements le pressent et il va être obligé d’adopter une conduite un peu ferme et nette. D’abord, l’acceptation de la Constitution par le roi rétablit les relations officielles entre la royauté constitutionnelle et les puissances étrangères. En même temps la diplomatie occulte de la Cour continue : quel jeu jouera Montmorin ? La situation devient difficile et même périlleuse, d’autant plus que l’irritation croissante de l’Assemblée contre les émigrés, les discours de Brissot et d’Isnard, les premiers décrets contre les princes, les menaces grondantes contre l’Autriche, tout annonçait une période d’orages, de difficultés et de dangers. Montmorin se déroba.

Je ne puis m’expliquer qu’ainsi sa retraite. C’est le 31 octobre 1791, onze jours après le discours de Brissot, qu’il annonça sa démission à l’Assemblée : « Dès le mois d’avril dernier, j’avais donné ma démission à Sa Majesté, mais la distance qui me séparait de celui qu’elle m’avait destiné pour successeur me força de continuer mon travail jusqu’à la réception de sa réponse qui fut un refus. Depuis, je ne trouvai plus où placer ma démission, et l’espérance d’être encore de quelque utilité à la chose publique et au roi, put seule me consoler de la nécessité de rester dans le Ministère, au milieu des circonstances qui en rendaient les fonctions si périlleuses pour moi. Aujourd’hui Sa Majesté a daigné agréer ma démission. »

Sybel commet donc une légère erreur matérielle lorsqu’il dit que c’est le décret du 29 novembre contre les prêtres et les émigrés qui détermina la retraite de Montmorin : elle était décidée et annoncée dès la fin d’octobre. Mais c’est bien la difficulté croissante des choses qui décida Montmorin au départ. Sybel paraît croire que c’est parce que Montmorin ne put faire adopter par la Cour une politique vigoureuse contre la Révolution qu’il se retira. Et le témoignage de Mallet-du-Pan auquel Sybel se réfère est en effet très précis.