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Ainsi c’est la peur utilisée par l’égoïsme de caste qui a été, selon Marat, le grand et premier ressort de la Révolution.

À cette heure sombre où l’avénement de la démocratie et d’un régime vraiment populaire lui paraît définitivement impossible et où la Révolution lui semble manquée, il en déshonore, pour ainsi dire, les racines.

« À tort prétend-on que la prise d’armes du 14 juillet fut une insurrection générale contre le despotisme ; puisqu’alors les suppôts du despote se trouvaient mêlés à ses esclaves ; mais c’était une simple précaution des citoyens qui avaient quelque chose à perdre contre les entreprises des indigents qui venaient de faire tomber les barrières.

« Cette précaution, qu’avait dictée la crainte dans la capitale, s’étendit comme une traînée de poudre dans tout le royaume par la seule force de l’exemple ; et ce ne fut que lorsque les petits ambitieux qui menaient les plébéiens des États-généraux se furent prévalus des circonstances, pour se faire acheter, que ce déploiement de la force nationale parut se diriger contre le despotisme.

« Dans ce soulèvement universel, le despote, entouré de sa famille, de ses ministres et de quelques courtisans, paraissait abandonné de la nation entière : mais il n’en conservait pas moins la légion innombrable de ses suppôts et de ses satellites, à la troupe de ligne près, dont le cœur venait de se donner à la patrie ; armés en apparence contre leur maître, ils ne l’étaient en effet que pour sa défense, pour le maintien de son empire, pour la conservation de leurs privilèges et de leurs dignités.

« On voyait alors les favoris insolents de la Cour, sous le masque du patriotisme, ne parler que de la souveraineté du peuple, des droits de l’homme, de l’égalité des citoyens, et mendier humblement, sous l’habit des soldats de la patrie (la garde nationale), les places de chefs, ou les acheter adroitement sous le voile de la bénéficence. Ceux qui ne purent pas s’emparer du commandement des forces nationales s’emparèrent de l’autorité des assemblées populaires, des places de fonctionnaires publics ; et l’on vit, pour la première fois, de grands magistrats en moustaches à la tête d’un bataillon ; des conseillers d’État en perruque à queue, humblement inclinés sur un bureau de district à côté de leurs tailleurs ou de leurs notaires ; des ducs superbes en habits bourgeois siégeant à un comité de police avec leurs procureurs ou leurs huissiers, et des prélats pacifiques gardiens d’un arsenal et distributeurs d’instruments de mort aux enfants de Mars.

« Autour de ces intrigants ambitieux, viles créatures de la Cour, se rallièrent bientôt ses suppôts et ses satellites ; la noblesse, le clergé, le corps des officiers de l’armée, la magistrature, les gens de robe et de loi, les financiers, les agioteurs, les sangsues publiques, les marchands de paroles, les agents de la chicane, la vermine du Palais, en un mot, tous ceux qui fondent leur grandeur, leur fortune, leurs espérances sur les abus du gou-