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La Constituante s’était enfermée étroitement dans la politique intérieure : elle avait répudié tout esprit de conquête, toute propagande systématique au dehors : elle avait même résisté longtemps à accepter la libre adhésion du Comtat Venaissin pour ne pas éveiller la défiance de l’étranger. Aux hommes nouveaux la politique intérieure ne semblait offrir ni des émotions fortes, ni des promesses de gloire. La Constitution était fixée ou le semblait, et si incomplète, si imparfaite qu’elle fût aux yeux des démocrates, ils ne pouvaient la renouveler par un coup d’éclat. Il ne leur restait donc au dedans que la tâche ingrate d’éteindre l’insurrection cléricale, d’assurer les finances, de veiller au fonctionnement d’un mécanisme que d’autres avaient construit. Dans cette besogne nécessaire et admirable mais modeste, l’impatience vaniteuse et affairée de Brissot était mal à l’aise. Aussi se tournait-il vers le dehors, vers le monde. Là, des complications infinies pouvaient donner aux habiles, aux « hommes d’État », matière d’action, matière de renommée. Mais comment jeter la France dans la vaste mêlée du monde ? Comment lier le mouvement révolutionnaire si nettement clos jusque-là, au mouvement universel ?

Brissot ne voulait pas attendre que l’exemple de la France libre et heureuse agît tout naturellement sur les autres peuples. Il voulait échauffer les événements. Et il agrandit soudain cette pauvre petite question des émigrés, pour ouvrir tout à coup devant la France je ne sais quelle perspective troublante et enivrante d’action infinie. Par cette pauvre lucarne soudain élargie, Brissot commence à jeter au monde un regard de défi.

Mais comment une grande partie de l’Assemblée et de l’opinion le suit-elle ? Comment la France, qui semblait si résolument pacifique sous la Constituante, prend-elle une attitude belliqueuse ? Elle parle encore de paix : mais il est visible qu’elle ne désire pas passionnément éviter la guerre, qu’elle n’en prévoit pas tous les périls et qu’au fond de son âme je ne sais quoi d’inquiet, d’ardent et d’aventureux l’appelle. Est-ce que l’Assemblée ne connaissait pas la situation exacte ? Est-ce qu’elle s’exagérait le parti-pris de guerre des souverains étrangers ? Mais nous avons vu que même dans le discours si contradictoire et si dangereux de Brissot il reconnaissait que l’Europe voulait la paix.

Et nous verrons bientôt, par les paroles mêmes de ceux qui après Brissot poussèrent à la guerre, notamment par les paroles de Rühl et de Daverhoult qu’ils connaissaient exactement l’état des choses et la pensée des puissances. Les Girondins, d’autre part, pouvaient-ils avoir une absolue confiance dans le roi ? pouvaient-ils avoir oublié la fuite de Varennes et la violation de tant de serments ? D’où vient donc, à ce moment, cette subite étourderie guerrière de la Révolution ? D’où vient cette imprudence provocatrice à l’égard de l’étranger, et cette apparente confiance au roi ?

Une sorte d’énervement semblait gagner les esprits. La résistance des