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Ainsi, parmi les ennemis de la Révolution, discordance, méfiance, paralysie. Et cette impuissance devient si aiguë que le 26 novembre 1791, Fersen, dans un mémoire à Marie-Antoinette où il résume tout l’état des choses lui demande formellement de ne plus compter sur l’empereur d’Autriche et de se passer de son concours : « s’il est vrai, comme je le crois, que vous ne puissiez plus compter sur l’empereur, il faut absolument tourner vos espérances d’un autre côté, et ce côté ne peut être que le Nord et l’Espagne, qui doit décider la Prusse et entraîner l’empereur. »

Mais ce plan est puéril. Que serait un Congrès des souverains se proposant de rétablir l’autorité de Louis XVI et où le frère de Marie-Antoinette, l’empereur d’Autriche, ne viendrait pas ou ne viendrait que par force ? D’ailleurs, Fersen lui-même ne pouvait penser que le roi de Prusse commît l’imprudence de s’engager dans une politique qui pouvait mener à la guerre sans y engager en même temps l’empereur d’Autriche. Dans le mémoire du 29 novembre il écrit : « On me mande de Berlin : « L’impératrice de Russie a écrit au roi de Prusse pour l’inviter de la manière la plus pressante d’entrer avec elle dans des mesures rigoureuses, pour faire rendre au roi de France sa liberté et les prérogatives de son trône. S. M. Prussienne a répondu qu’elle était prête et qu’elle persistait dans les sentiments déclarés à Pilnitz, pourvu que toutes les autres puissances, mais surtout l’empereur, voulussent coopérer au même but. On a fait dire également aux princes qu’ils n’ont qu’à se régler ici strictement d’après ce que fera la Cour de Vienne et que si celle-ci reste inactive le roi de Prusse ne fera rien de son côté. »

Il n’y a donc que l’impératrice de Russie qui semble décidée. Et elle joue trop visiblement un jeu égoïste. Elle sait bien que, à raison même de la distance, elle ne sera tenue d’engager contre la France révolutionnaire qu’une part infime de ses forces ; nul ne put prévoir alors le formidable duel de Napoléon et de la Russie. Catherine, précipitera donc toute l’Europe dans une guerre contre la France ; cette guerre sera d’autant plus violente, d’autant plus longue, elle absorbera d’autant plus les forces de l’Autriche et de la Prusse que l’on prétendra imposer à la France de la Révolution un régime plus despotique et des conditions plus dures. Et pendant ce temps, l’influence de la Russie sera souveraine en Pologne, en Turquie, sur les rives du Danube. La seule puissance qui parle haut cherche donc à pousser les autres dans un piège, et son empressement même ajoute à la méfiance et à l’incertitude générale.

Louis XVI et Marie-Antoinette ne se laissent pas entraîner, malgré tout, vers la politique des émigrés. Et ils s’obstinent à espérer de l’Empereur la réunion d’un Congrès. Le 19 octobre, Marie-Antoinette écrit au comte de Mercy-Argenteau : « Je vous ai mandé mon idée sur un Congrès. Tous les jours cette mesure devient plus pressante ; les frères du Roi sont eux-mêmes dans une position, par le nombre des personnes qui les ont rejoints, à n’être