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la France en état d’être gouvernée ; et attendons, pour discuter à qui sera le ministère, qu’il y ait un roi. Tout retardement à cet égard est un mal si grand que pour peu qu’il se prolonge il sera sans remède. Est-il vrai que l’archiduchesse dit hautement que l’empereur ne donnera ni hommes ni argent et, puisque le roi est content de la Constitution, qu’on serait fou de courir des risques pour la changer ? Gare à elle ! En établissant ce principe-là, elle pourra bien se faire chasser encore une fois des Pays-Bas et croyez que la contagion gagnera vite partout où les souverains n’auront pas assez de caractère pour couper dans le vif dès que la gangrène les gagnera. »

Ainsi, tandis que l’empereur d’Autriche ne se décide nullement et cherche toute sorte de raisons pour ne pas intervenir en France, tandis que l’Angleterre proclame sa neutralité absolue, les Cours du Nord, Suède et Russie, parlent assez haut mais agissent peu, et surtout, mettent pour condition à leur action un changement impossible dans le système de Louis XVI. Elles lui demandent de préparer le rétablissement de l’absolutisme qui lui apparaît à lui-même impraticable. Elles lui demandent enfin, de se découvrir aux yeux des Français et de marquer si bien que son acceptation de la Constitution est forcée, qu’aucun Français ne pourra un instant avoir confiance en lui. C’est dans ce sens que le roi de Suède écrit à Fersen le 11 novembre : « La conduite équivoque de ce prince (l’empereur d’Autriche) et ses tergiversations continuelles nous présageaient le parti qu’il avait pris depuis longtemps, et tout ce qu’il faisait n’était que pour empêcher les autres puissances d’agir, en leur faisant perdre du temps ; mais il est vrai que la conduite honteuse du roi de France a favorisé merveilleusement ses projets, et, quoique nous devions nous attendre à des démarches faibles, la conduite de la Cour de France a sûrement passé en lâcheté et en ignominie tout ce qu’on pouvait en présumer et que le passé pouvait indiquer ; mais ce qui est bien plus fâcheux, c’est qu’après avoir autant dégradé sa dignité il travaille encore à mettre des entraves aux efforts que ses frères et les puissances qui s’intéressent au sort de ce prince et au bien de la France peuvent faire pour le secourir ; et si la reine préfère la sujétion et le danger où elle vit à la dépendance des princes ses frères (ses beaux-frères) qu’elle paraît plus redouter, quoique bien à tort, je dois vous dire que l’impératrice (de Russie) est très mécontente de cette conduite. »

Et le roi de Suède va jusqu’à traiter Marie-Antoinette en suspecte qui doit donner par écrit des gages de sa haine contre la Révolution : « Vous devez donc fortement représenter à la reine, la nécessité pour elle de donner des assurances par écrit qui prouvent la violence qu’on lui fait et a faite depuis qu’elle a reparu sous une apparente liberté, pour que cet écrit soit une arme contre les prétextes dont se servira l’empereur et forcer ce prince à prendre seulement sur lui la honte de sa conduite qu’il tâche maintenant de rejeter sur la sienne. »