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pour presser le Congrès. Je lui mande vous communiquer ma lettre ; aussi je n’entre pas en détail sur cela avec vous. J’ai vu M. du Montier qui désire fort aussi ce Congrès. Il m’a donné même des idées pour les premières bases, que je trouve raisonnables. Il refuse le ministère et je l’y ai même engagé. C’est un homme à conserver pour un meilleur temps, et il serait perdu. »

Et elle continue sa lettre par des paroles découragées, presque désespérées : elle ne sait si elle redoute davantage les Français du dehors, les émigrés, ou les Français du dedans, les révolutionnaires. « Tout est assez tranquille pour le moment, en apparence, mais cette tranquillité ne tient qu’à un fil et le peuple est toujours comme il était, prêt à faire des horreurs ; on nous dit qu’il est pour nous, je n’en crois rien, au moins pour moi. Je sais le prix qu’il faut mettre à tout cela ; la plupart du temps cela est payé, et il ne nous aime qu’autant que nous faisons ce qu’il veut. Il est impossible d’aller longtemps comme cela ; il n’y a pas plus de sûreté dans Paris qu’auparavant, et peut-être encore moins, car on s’accoutume à nous voir avilis… les Français sont atroces de tous les côtés : il faut bien prendre garde que si ceux d’ici (les révolutionnaires) ont l’avantage et qu’il faille vivre avec eux, ils ne puissent nous rien reprocher ; mais il faut penser aussi, que si ceux du dehors redevenaient maîtres, il faut qu’on puisse ne pas leur déplaire… »

C’est l’extrême frayeur : elle ne sait plus quel est le parti qui l’emportera et elle veut se ménager avec tous. Ce n’est plus la reine superbe et outragée qui calcule des moyens de revanche. C’est la créature humaine aux abois qui ne veut pas périr, et quelle tristesse pour elle de constater le néant de ces applaudissements « populaires », payés par la liste civile !

Le 21 octobre le baron de Taube écrit de Stockholm à Fersen : « Quant aux affaires de France voici ce que les princes disent dans leur lettre à l’impératrice (de Russie) : L’esprit de lenteur qui conduit les cabinets de Vienne et de Madrid, la mauvaise volonté de ce dernier, que nous avons de fortes raisons de croire vendu à nos ennemis ; les intrigues enfin du baron de Breteuil, car il est temps de le nommer à Votre Majesté, qui aime mieux de tout renverser que de voir réussir des projets qu’il n’a pas conçus lui-même, etc., etc. »

Ainsi, colère et déception chez les émigrés, terreur et duplicité chez la reine, indécision et paralysie des puissances : je ne sais quel effort stérile et informe de trahison et de guerre qui n’aboutit pas.

Le 31 octobre, Marie-Antoinette écrit à Fersen : « La lettre de Monsieur (comte de Provence et frère du roi) au baron (de Breteuil) nous a étonnés et révoltés ; mais il faut avoir patience et dans ce moment, pas trop montrer sa colère ; je vais pourtant la copier pour la montrer à ma sœur (Madame Élisabeth sœur de Louis XVI, qui tenait pour les princes). Je suis anxieuse de savoir comment elle la justifiera au milieu de tout ce qui se passe. C’est un enfer que notre intérieur ; il n’y a pas moyen d’y rien dire avec les