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mort et apesanti par des corruptions secrètes. Et le paradoxe du génie cessa de troubler les combinaisons normales.

Mais tous, de Malouel à Robespierre, étaient monarchistes, de 1789 à 1791. Et même dans la deuxième moitié de l’année 1791, il y eut à la Constituante comme une intensification du sentiment monarchique, par le retrait de ceux que j’ai appelés les radicaux constitutionnels vers le modérantisme. Barnave et ses amis furent à ce moment, de mars à octobre 1791, la force critique et décisive de la Révolution.

Si, avertis par les résistances persistantes de la cour à l’œuvre révolutionnaire, et inquiets des sourdes menées du roi au dehors, ils avaient compris l’inconsistance de la Constitution de 1791, et s’ils avaient évolué vers le parti démocratique, la royauté aurait été, peut-être, éliminée après Varennes. Mais Barnave et ses amis, bien loin d’aller vers l’idéal démocratique, s’arrêtèrent d’abord et bientôt reculèrent.

Est-ce la popularité naissante de Robespierre qui portait ombrage à ces hommes vaniteux et légers ? La mort de Mirabeau, dont il avait paru un moment le seul rival de tribune, suggéra-t-elle à Barnave l’idée de le remplacer et de jouer le rôle de modérateur de la Révolution laissé vacant par le grand tribun ? Ou les puissants intérêts coloniaux auxquels il se trouva lié, lui imposèrent-ils une politique de conservation et d’oligarchie bourgeoise ? Le mouvement de la Révolution qui devait, selon la philosophie sociale de Barnave, substituer à la puissance de la propriété foncière celle de la propriété mobilière, lui parut-il avoir atteint son terme ? Dès la seconde moitié de 1791, Barnave devient l’homme de la résistance ; ses amis, ceux que j’ai appelés les radicaux constitutionnels, se rapprochent des amis de Lafayette, des modérés ; et après Varennes, Barnave n’a plus qu’un souci : sauver le roi et la royauté.

Ainsi, par un singulier paradoxe historique il semble que la royauté étend son action sur les partis de la Révolution à mesure qu’elle-même accumule les fautes et les crimes contre la Révolution.

C’est dans cet embarras et ce mensonge que naquit la Législative : il ne faut pas s’étonner de ses incertitudes et de ses faiblesses. On a dit que le décret par lequel la Constituante prononça la non-rééligibilité de ses membres est la cause des hésitations, des maladresses de la Législative. C’est une erreur. À coup sûr, cette Assemblée toute neuve manquait, si je puis dire, d’expérience professionnelle, mais elle ne manquait pas d’expérience politique. La Révolution avait été, depuis trois années, une prodigieuse éducatrice. D’ailleurs, l’Assemblée n’était pas le seul centre d’action : et les hommes qui n’étaient point à la Législative pouvaient agir, au dehors, sur la marche des affaires.

Robespierre dirigeait une partie de l’opinion par les Jacobins comme s’il eût été député. Et Barnave, les Lameth, Duport, intriguaient à la cour, se