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En même temps, l’Assemblée, par des mesures vigoureuses et habiles, s’assurait l’adhésion des armées. Elle envoyait à chacune d’elles des commissaires chargés d’expliquer les événements et d’obtenir l’obéissance de tous, généraux et soldats, à la nation souveraine. Sur leur route, les commissaires s’arrêtaient aux principales villes, interrogeaient l’esprit public, racontaient la journée du 10 août. Presque partout, ils furent bien accueillis. À Reims, ils trouvèrent la ville illuminée, des feux de joie flambaient en l’honneur des fédérés vainqueurs à Paris. À Lyon, l’élan national est vif aussi. À l’armée du Rhin, les sentiments des généraux étaient très mêlés. Kellermann et Biron étaient dévoués à la Révolution. Broglie, Caffarelli furent pleins de réticences. Carnot et ses collègues les suspendirent. À l’armée du Nord, où Dumouriez s’était rendu récemment, l’état d’esprit était bon, et Dumouriez lui-même écrivait à l’Assemblée une lettre d’entier dévouement.

Mais à l’armée du Centre, commandée par Lafayette, un moment les difficultés furent graves. Lafayette avait persuadé aux troupes que le 10 août n’était qu’un coup de main des factieux de Marseille ; que l’Assemblée n’avait décidé la suspension du roi que sous la menace des baïonnettes ; que la municipalité faisait égorger systématiquement tous les Suisses, tous les bons citoyens, qu’il y avait entente entre les insurgés de Paris et les puissances étrangères qui, par eux, désorganisaient la France, qu’à la place de Louis XVI les factieux allaient installer sur le trône le maire de Paris, « le roi Pétion ». Était-ce pour défendre la couronne du roi Pétion qu’ils allaient verser leur sang ? Lafayette persuada en outre au directoire des Ardennes et aux administrateurs de Sedan que les trois commissaires de l’Assemblée. Antonelle, Peraldi, Kersaint, ne pouvaient être que les instruments des factieux et des factieux eux-mêmes. Dès leur arrivée, ils furent arrêtés et emprisonnés au château.

Mais que pouvait Lafayette ? Il aurait fallu marcher sur Paris en entraînant son armée. Or, déjà de grandes villes comme Reims étaient résolues à lui barrer la route. D’ailleurs ses soldats, troublés, inquiets, avaient, dans le camp où on les isolait, l’impression qu’on ne leur disait pas toute la vérité, et ils accueillaient Lafayette lui-même, qui venait passer une revue pour s’assurer de leur obéissance, par les cris, timides encore de : « Vive l’Assemblée nationale ! Vive la nation ! » « Quoi ! disaient les volontaires, nous sommes à la frontière, et au lieu de combattre contre l’ennemi, que nous sommes venus chercher du fond de nos hameaux, c’est contre Paris que nous marcherons ! »

L’Assemblée envoya trois nouveaux commissaires, Quinet, Isnard, Baudin, pour porter à l’armée du Nord et aux administrateurs sa sommation. Elle décréta que ceux-ci lui répondraient sur leur tête de la vie des commissaires. Elle décréta d’accusation Lafayette et ordonna à son armée de ne plus lui obéir. Lafayette découragé passa la frontière dans la nuit du 19 au 20 août.