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encore tout ce que nous savons aujourd’hui ; mais la connivence du roi avec l’étranger y éclatait cependant.

L’Assemblée fit publier ces papiers. Elle ordonna à ses commissaires auprès des armées de les répandre dans les camps. Partout les sociétés jacobines les commentèrent, et de toute la France patriote, qui envoyait sans compter sa jeunesse, toute la fleur de sa vie, un immense cri s’éleva contre la royauté traîtresse.

Mais l’Assemblée comprit qu’elle devait aussi aller droit au cœur des paysans en abolissant enfin réellement le régime féodal. Déjà, en ouvrant l’histoire de la Législative par l’étude du mouvement paysan, j’ai noté que l’Assemblée, sous la pression de la France rurale, avait dû toucher à la féodalité plus sérieusement que la Constituante. En juin, elle avait aboli sans indemnité les droits casuels, ceux qui ne pesaient pas annuellement sur les tenanciers, mais qui étaient dus à l’occasion des ventes, des décès. Et encore les seigneurs pouvaient exiger le paiement de ces droits s’ils faisaient la preuve qu’ils étaient le prix d’une concession primitive de fonds. En outre, le redevable, quand il y avait rachat, était tenu de racheter à la fois toutes les rentes féodales très diverses dont il était grevé ; quand plusieurs propriétaires de ci-devant fiefs ou de fonds étaient tenus solidairement au payement d’un droit, l’un ne pouvait se racheter sans les autres. Enfin, et surtout, les droits annuels, les droits censuels, comme le cens, la censive, le champart, continuaient à peser sur les paysans.

Mais ceux-ci, de même qu’après le 14 juillet ils étaient entrés en mouvement et avaient arraché les décrets du 4 août 1789, comprirent que la Révolution du 10 août 1792 était pour eux une occasion excellente de secouer leurs charges. Ainsi les prolétaires de Paris, en versant leur sang le 10 août pour la liberté, ont affranchi les paysans de ce qui restait de la servitude féodale.

Quelques jours après la prise des Tuileries, les pétitions des paysans commencèrent à arriver à l’Assemblée. Le 16 août, ce sont des cultivateurs de la « ci-devant province du Poitou » qui paraissent à la barre de l’Assemblée, et qui, au nom d’un grand nombre de citoyens de la paroisse de Rouillé, département de la Vienne, se plaignent des poursuites judiciaires intentées pour le recouvrement des droits féodaux.

« Ils sont encore victimes des restes du régime féodal. Le procureur-syndic de Lusignan (Vienne) a dirigé contre eux des poursuites pour certain droit qu’il a prétendu être un droit de terrage, mais qui, dans le fait, n’est qu’une véritable dîme ; ils demandent que l’Assemblée les mette à l’abri des suites d’un procès injuste qui serait leur ruine. »

À l’appel des paysans, l’Assemblée répond, presque coup sur coup, par trois décrets importants. Tout de suite, elle décrète la suspension de toutes les poursuites faites devant les tribunaux pour cause de droits ci-devant féo-