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hommes des tribunes battit avec le cœur des Girondins, des « hommes d’État ». La Gironde, en ce tourbillon auquel elle présidait par Vergniaud tout à l’heure, par Guadet maintenant, était de nouveau mêlée à la grande passion révolutionnaire du peuple.

L’alarme des patriotes dura peu. Les Suisses qui avaient été signalés étaient déjà des vaincus ; du château forcé par le peuple ils se retiraient par le jardin des Tuileries, ils tombèrent sous les balles, les piques et les baïonnettes des vainqueurs. Quel était, durant ce drame, l’état d’esprit du roi ? Mystère impénétrable. Espéra-t-il un moment que le château se défendrait et que la Révolution serait vaincue ? Il assistait de la loge du tachygraphe à la séance de l’Assemblée. Les cris qui annonçaient l’arrivée des Suisses retentirent sans doute joyeusement en son cœur. Peut-être aussi, au son du canon, au crépitement de la fusillade, regretta-t-il de ne pas être resté au milieu de ses soldats pour les animer de sa présence. Choudieu, qui l’observa bien, affirme que tant que dura le combat, son visage demeura impassible ; et qu’il ne s’émut que lorsque la défaite de ses suprêmes défenseurs lui fut connue. Tardivement, il fit passer aux Suisses l’ordre de ne plus tirer. Le peuple vainqueur envahit les Tuileries, les fouilla des caves au faîte ; et à tout moment des hommes noirs de poudre, ou le visage ensanglanté, entraient dans l’Assemblée portant des papiers, de la monnaie d’or, les bijoux de la reine, et criaient : « Vive la Nation ! »

C’était la victoire de la Révolution et de la Patrie. C’était aussi la victoire de la Commune révolutionnaire. C’est elle qui, en se substituant à la Commune légale, avait pour ainsi dire rompu les ponts derrière la Révolution en marche. Il fallait vaincre ou périr. C’est elle aussi qui en consignant Pétion, et en arrêtant Maudat, avait assuré le libre essor de la force populaire. Dès le matin du 10 août et à peine le Château forcé, la Commune se présenta à l’Assemblée, non pour demander la confirmation légale d’un pouvoir qu’elle tenait de la Révolution même, mais au contraire pour dicter des lois. En son nom, Huguenin, accompagné de Léonard Bourdon, de Tronchon, de Berieux, de Vigaud et de Bullier, dit ceci :

« Ce sont les nouveaux magistrats du peuple qui se pressentent à votre barre. Les nouveaux dangers de la patrie ont provoqué notre nomination ; les circonstances la conseillaient et notre patriotisme saura nous en rendre dignes. Le peuple las enfin, depuis quatre ans éternel jouet des perfidies de la Cour et des intrigues, a senti qu’il était temps d’arrêter l’Empire sur le bord de l’abîme. Législateurs, il ne reste plus qu’à seconder le peuple : nous venons ici en son nom, concerter avec vous des mesures pour le salut public. Pétion, Manuel, Danton, sont toujours nos collègues ; Santerre est à la tête de la force armée.

« Que les traîtres périssent à leur tour. Ce jour est le triomphe des vertus civiques : Législateurs, le sang du peuple a coulé ; des troupes étrangères