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« Je demande que les commissaires qui vont se rendre à la ville soient autorisés à conférer avec tous ceux entre les mains desquels peuvent résider en ce moment-ci, soit légalement soit illégalement, une autorité quelconque, et la confiance publique au moins apparente. »

L’Assemblée adopta la motion de Thuriot et ainsi c’est par la Commune que le premier coin de Révolution républicaine entra dans la Constitution encore monarchique de 1791.

Quelques instants après, l’Assemblée décidait de laisser à la Commune révolutionnaire le choix au moins provisoire du nouveau commandant de la garde nationale. Cependant dans les Tuileries vides du roi, il semble qu’un mot d’ordre de désarmement ait été donné. Par les fenêtres du château les Suisses lançaient au peuple des paroles amies. La porte donnant sur le grand escalier s’ouvre ; le peuple des faubourgs et les fédérés s’élancent joyeusement, mais soudain, de tous les degrés de l’escalier une terrible fusillade répond à la Révolution confiante. Y eut-il piège abominable et fourberie ? Ou bien, dans cette anarchie d’une petite armée soudain abandonnée par son roi et livrée à des ordres contradictoires, y eut-il de funestes malentendus ? Un cri terrible de douleur, de mort et de colère monte du peuple refoulé ; il braque ses canons contre les murailles, ses fusils contre les fenêtres d’où crépite la mousqueterie des Suisses ; les baraques adossées au palais, tout le long de la place du Carrousel, prennent feu ; et « le son du canon », profond, courroucé, lugubre, le bruit irrité et aigu de la fusillade, le pétillement des flammes pâlies par la clarté du jour, toute une clameur, tout un tumulte de destruction et de combat emplissent la cour du Carrousel et retentissent dans l’Assemblée. Un moment, vers neuf heures, un cri de panique se fait entendre sur le seuil de la salle des séances : « Voici les Suisses ; nous sommes forcés. »

L’Assemblée haletante croit que les soldats mercenaires de la royauté allaient mettre la main sur elle, que la royauté traîtresse, après avoir vaincu le peuple, allait frapper les représentants du peuple, et qu’elle n’avait plus qu’à mourir pour léguer au moins aux générations nouvelles, en un souvenir héroïque, la protestation immortelle de la liberté.

Aux premiers coups de canon, tous les citoyens des tribunes se lèvent : « Vive l’Assemblée nationale ! Vive la Nation ! Vivent la liberté et l’égalité ! » L’Assemblée décide aussitôt que tous les députés resteront à leur place, attendant le destin, pour sauver la Patrie ou périr avec elle.

« Voilà les Suisses ! crient encore les citoyens des tribunes, à la fois sublimes de courage et affolés par les rumeurs incertaines. Nous ne vous quittons pas ; nous mourrons avec vous ! »

Et ils s’appliquent à eux-mêmes le décret de l’Assemblée ; ils se lient comme elle à la liberté et à la mort. Minute héroïque et grande où toutes les dissidences et toutes les défiances s’effacèrent un moment dans la commune passion pour la liberté, dans le commun mépris de la mort, et où le cœur des