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de peur que Pétion, encore lié par les formes légales, ne paralysât le mouvement du peuple, la Commune révolutionnaire le consigna à son domicile. Elle préservait ainsi la liberté de l’action populaire. Et elle marquait bien dès l’origine de cette grande journée, quel en était le caractère ; il ne s’agissait pas d’une sommation à adresser au roi. Il s’agissait d’un changement de pouvoir, et le peuple s’installait en souverain à l’Hôtel de Ville pour chasser décidément des Tuileries la souveraineté de trahison.

Comment l’Assemblée législative allait-elle accueillir ce pouvoir nouveau, expression révolutionnaire de la volonté du peuple ? Elle fut informée des événements de l’Hôtel de Ville vers sept heures du matin par une députation geignante de l’ancienne municipalité. Mais que faire ? Quelques députés proposèrent bien de casser comme illégal le pouvoir nouveau. Mais déjà la lutte s’engageait autour du château, et la proposition tomba. Aussi bien le nouveau pouvoir agissait, et il secondait avec une grande décision l’effort du peuple. Avant même de se constituer en commune, les délégués des sections avaient obtenu de la municipalité légale qu’elle rappelât auprès d’elle Maudat, le commandant de la garde nationale dévoué au roi.

Celui-ci, vers le matin, c’est-à-dire au moment même où sa présence aux Tuileries aurait été le plus nécessaire, avait fini par céder à l’ordre municipal. Et, arrivé à l’Hôtel de Ville, il s’était trouvé en face d’un pouvoir nouveau. La Commune révolutionnaire le traita en accusé, elle lui demanda compte des ordres irréguliers qu’il avait donnés, sans l’autorisation explicite du maire, pour armer la garde nationale contre le peuple. Et au moment où, l’interrogatoire fini, il s’apprêtait à revenir en hâte vers les Tuileries, elle le fit arrêter.

Du coup, la résistance des Tuileries était désorganisée. La Cour perdait tout point d’appui légal ; la garde nationale ne donnait plus le moindre concours aux Suisses et aux gentilshommes. Le roi s’en aperçut bien, vers six heures, quand il sortit un moment du palais pour faire au Carrousel et aux Tuileries la revue des postes. Les canonniers de la garde nationale l’accueillirent par un silence morne, ou par des cris de : « Vive la Nation. »

Louis XVI eut la sensation aiguë, mortelle, qu’il était seul contre son peuple. Il rentra au château presque désespéré. Cependant, peu à peu, les assaillants arrivaient, et par le Carrousel, par les Tuileries, commençaient, mais mollement encore, à investir le Château. Le roi et la reine allaient-ils, ainsi plus qu’à demi abandonnés, soutenir les hasards d’un siège ? À l’Assemblée, l’inquiétude était vive. Qu’adviendrait-il si le roi et la reine, dans la fureur de l’assaut, étaient massacrés ? La France, qui avait été déjà émue le 20 juin en faveur du roi menacé, ne se soulèverait-elle point contre ceux qui l’auraient tué, contre ceux aussi qui par leur inaction auraient été complices du meurtre ? Plusieurs députés demandèrent que l’Assemblée appelât le roi à elle. Mais ce n’était pas seulement protéger la vie du roi ; c’était en quelque sorte