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étaient ces mots : Ceux qui tireront sur les colonnes du peuple seront mis à mort sur-le-champ. »

Ainsi l’idée de s’approprier le drapeau rouge semble être venue au peuple avant le 20 juin, dès que l’ère des mouvements populaires contre la royauté s’annonça. Mais il paraît bien qu’au 20 juin le drapeau rouge ne fut pas déployé, soit que le temps eût fait défaut pour en préparer un nombre suffisant avec les inscriptions révolutionnaires, soit plutôt que Pétion, qui chercha à légaliser le mouvement du 20 juin, eût obtenu de ses amis qu’ils renonçassent à le déployer. Mais la pensée persista, et au 10 août le rouge drapeau flotta çà et là sur les colonnes révolutionnaires. Il signifiait :

« C’est nous, le peuple, qui sommes maintenant le droit. C’est nous qui sommes maintenant la loi. C’est en nous que réside le pouvoir régulier. Et le roi, la Cour, la bourgeoisie modérée, tous les perfides qui, sous le nom de Constitutionnels, trahissent en effet la Constitution et la patrie, ceux-là sont les factieux. En résistant au peuple, ils résistent à la vraie loi, et c’est contre eux que nous proclamons la loi martiale. Nous ne sommes pas des révoltés. Les révoltés sont aux Tuileries, et contre les factieux de la Cour et du modérantisme nous retournons, au nom de la patrie et de la liberté, le drapeau des répressions légales. »

Ainsi, c’était plus qu’un signe de vengeance. Ce n’était pas le drapeau des représailles. C’était le drapeau splendide d’un pouvoir nouveau ayant conscience de son droit, et voilà pourquoi, depuis lors, toutes les fois que le prolétariat affirmera sa force et son espérance, c’est le drapeau rouge qu’il déploiera.

À Lyon, sous Louis-Philippe, les ouvriers exténués par la faim, déploient le drapeau noir, drapeau de la misère et du désespoir. Mais après février 1848, quand les prolétaires veulent illustrer d’un symbole à eux la Révolution nouvelle, ils demandent au gouvernement provisoire d’adopter le drapeau rouge.

Pour qu’il surgît ainsi de nouveau comme une haute flamme longtemps cachée sous les cendres, il fallait que la tradition révolutionnaire du 10 août se fût continuée pendant un demi-siècle, dans les pauvres maisons des faubourgs, de la bouche du père à l’oreille et au cœur du fils. Et Lamartine commettait un oubli étrange lorsqu’au peuple assemblé devant l’Hôtel de Ville il disait : « Le drapeau rouge n’a fait que le tour du Champ de Mars traîné dans les flots de sang du peuple. »

Pourquoi le peuple ne répondit-il pas ?: « Oui, mais ce drapeau, teint du sang du peuple au 17 juillet 1791, conduisit le peuple contre les Tuileries au 10 août 1792. Et l’espérance ouvrière est mêlée en sa splendeur à la victoire républicaine. »