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pourtant, et ils sentaient bien qu’un vaste et sombre flot viendrait battre la royauté.

La Législative avait fixé au 9 le débat sur les pétitions demandant la suspension ou la déchéance du roi. Mais en fixant ainsi la date du débat, elle avait fixé par là même la date de l’insurrection.

Elle n’aurait pu, en effet, désarmer la colère du peuple que par une grande et courageuse décision ; elle en était incapable ; et Choudieu lui dit avec une courageuse franchise que n’ayant pas osé la veille condamner Lafayette, elle n’oserait pas « se traîner jusque sur les marches du trône pour frapper une Cour coupable ». Choudieu fut menacé de l’Abbaye. Les modérés racontèrent à la tribune les violences subies par eux la veille, dans les rues de Paris, à cause de leur vote en faveur de Lafayette. Et Viénot-Vaublanc alla jusqu’à dire que, plutôt que de délibérer sous les menaces « d’une faction » l’Assemblée devait quitter Paris et aller à Rouen. C’eût été la mort de la Révolution et de la patrie.

Au nom de la Commission des Douze, Condorcet se borna à proposer une adresse au peuple français sur l’exercice du droit de souveraineté. Elle paraissait faite uniquement pour protéger les délibérations de l’Assemblée contre toute pression illégale du dehors.

Le grand problème de la déchéance n’y était même pas posé, et la Commission des Douze donnait comme objet à son rapport « les mesures préliminaires à prendre avant de traiter la question de la déchéance du roi ». Dans l’état de tension des esprits et des forces, tout délai nouveau était impossible.

Le ressort révolutionnaire joua enfin. La générale battit ; le tocsin sonna, et dans la nuit sereine du 9 au 10 août le peuple des faubourgs, saisissant ses fusils, attelant ses canons, se prépara à livrer, dès l’aube, le grand combat. Ce n’était pas une pensée d’intérêt étroit et immédiat qui animait ces hommes.

Les ouvriers, les prolétaires qui allaient au combat avec la plus audacieuse fraction de la bourgeoisie révolutionnaire ne formulaient aucune revendication économique. Déjà, même quand ils luttaient contre les accapareurs et monopoleurs qui avaient renchéri le sucre et les autres denrées, les ouvriers de Paris disaient : « Ce n’est pas pour avoir des bonbons, comme des femmes, que nous réclamons : c’est parce que nous ne voulons pas laisser la Révolution aux mains d’une nouvelle caste, égoïste et oppressive. »

C’est la pleine liberté politique, c’est la pleine démocratie qu’ils réclamaient avant tout. En elle, assurément, ils trouveraient des garanties pour leurs intérêts, pour leurs salaires, pour leur existence même. Déjà, dans le vaste mouvement populaire, dans la grande effervescence de juillet et d’août, la loi Chapelier avait été abrogée de fait, et la bourgeoisie feuillantine se