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La reine n’y comptait pas aussi fermement. Le 1er août, elle écrit en clair à Fersen :

« L’événement du 30 (le conflit entre les Marseillais et le bataillon de la garde nationale) a augmenté les inquiétudes, irrité partie de la garde nationale et découragé l’autre. On s’attend à une catastrophe prochaine ; l’émigration redouble. Les gens faibles avec des intentions pures, ceux qui n’ont qu’un courage incertain et de la probité se cachent ; les mal intentionnés seuls se montrent avec audace. Il faut une crise pour faire sortir la capitale de l’état de contraction où elle se trouve ; chacun la désire, chacun la veut dans le sens de ses opinions, mais personne n’ose en calculer les effets dans la crainte de trouver un résultat en faveur des scélérats. Quoi qu’il arrive, le roi et les honnêtes gens ne laisseront porter aucune atteinte à la Constitution, et, si elle est renversée, ils périront avec elle. »

Et elle ajoute en encre sympathique :

« La vie du roi est évidemment menacée depuis longtemps ainsi que celle de la reine. L’arrivée d’environ 600 Marseillais et d’une quantité d’autres députés de tous les clubs jacobins augmente bien nos inquiétudes, malheureusement trop fondées. On prend des précautions de toute sorte pour la sûreté de LL. MM., mais les assassins rôdent continuellement autour du château ; on excite le peuple ; dans une grande partie de la garde nationale il y a mauvaise volonté, et dans l’autre faiblesse et lâcheté… Au milieu de tant de dangers il est difficile de s’occuper du choix des ministres. Si on obtient un moment de tranquillité, je vous manderai ce qu’on pense de ceux que vous proposez ; pour le moment il faut songer à éviter les poignards et à déjouer les conspirateurs qui fourmillent autour du trône prêt à disparaître. Depuis longtemps les factieux ne prennent plus la peine de cacher le projet d’anéantir la famille royale. Dans les deux dernières Assemblées nationales on ne différait guère que sur les moyens à employer. Vous avez pu juger par ma précédente lettre, combien il est intéressant de gagner vingt-quatre heures ; je ne ferai que vous le répéter aujourd’hui, en ajoutant que si on n’arrive pas il n’y a que la Providence qui puisse sauver le roi et sa famille. »

Il est certain que dans cette lettre, et pour hâter la marche des secours. Marie-Antoinette montre surtout le côté sombre des choses. Mais je crois que Michelet exagère la sécurité de la Cour. Il est bien vrai qu’elle avait appelé dans le château des Tuileries un millier de soldats suisses, que beaucoup de gentilshommes s’étaient joints à eux, et que Maudat avait promis le concours de plusieurs bataillons de la garde nationale.

Il est vrai aussi que les bataillons des fédérés ne comptaient guère que cinq à six mille hommes et que nul ne pouvait dire si les faubourgs se lèveraient en masse. La Cour avait donc des raisons d’espérer qu’elle écraserait le soulèvement ; et dans l’état d’attente énervante où vivaient le roi et la reine, ils finissaient par souhaiter une journée décisive. Ils la redoutaient