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cessairement il ralliera beaucoup de monde autour du roi et le mettra en sûreté ; qu’autrement personne ne peut en répondre pendant vingt-quatre heures, la troupe des assassins grossit sans cesse. »

Mais quelle anarchie, quel chaos dans les pensées de cette Cour affolée ! Pendant que Louis XVI accrédite Mallet du Pan auprès des souverains, pendant que celui-ci essaie d’obtenir la rédaction d’un manifeste relativement modéré de ton, Fersen, ami et confident de la reine, insistait pour un manifeste violent, et il dénonçait à la reine même, comme une fâcheuse intrigue, les démarches de Mallet du Pan. Voici ce qu’il écrit de Bruxelles à Marie-Antoinette, le 28 juillet :

« Nous n’avons cessé de presser sur le manifeste et les opérations, elles commenceront le 2 ou 3 août. Le manifeste est fait, et voici ce qu’en dit au baron de Breteuil M. de Bouillé qui l’a vu : « On suit entièrement vos principes, et j’ose dire les nôtres, pour le manifeste et le plan général, malgré les intrigues dont j’ai été témoin et dont j’ai bien ri, étant bien sûr, d’après ce que je savais, qu’elles ne prévaudraient pas. » — Nous avons insisté pour que le manifeste soit menaçant, surtout pour ce qui regarde la responsabilité sur les personnes royales, et qu’il n’y soit jamais question de Constitution ou de gouvernement. »

Le même jour, nouveau billet de Fersen à la reine :

« Je reçois dans ce moment la déclaration de M. de Brunswick, elle est fort bien : c’est celle de M. de Limon, et c’est lui qui me l’envoie. »

Et il ajoute, pris d’angoisse à la pensée des périls qui menacent la reine :

« Voici le moment critique et mon âme en frémit. Dieu vous conserve tous, c’est mon unique vœu. S’il était utile que vous vous cachiez jamais, n’hésitez pas, je vous prie, à prendre ce parti ; cela pourrait être nécessaire pour donner le temps d’arriver à vous. Dans ce cas, il y a un caveau dans le Louvre attenant à l’appartement de M. de Laporte ; je le crois peu connu et sûr. Vous pourriez vous en servir.

« C’est aujourd’hui que le duc de Brunswick se met en mouvement, il lui faut huit à dix jours pour être à la frontière. »

Mais dans les mêmes lettres où il laissait ainsi percer sa frayeur, Fersen transmettait à la reine les combinaisons ministérielles du baron de Breteuil. Il y a je ne sais quoi de tragique et de bouffon dans cette distribution de portefeuilles :

« Voici le projet du baron pour le ministère ; il veut qu’il soit tout dans sa main pour éviter les contradictions ; il donne la guerre à la Galissonnière, qui dit-il, lui a fourni de très bonnes idées ; la marine à du Moutier ; les sceaux à Barentin ; les affaires étrangères à Bombelles ; Paris à la Porte et les finances à l’évêque de Pamiers. »

De Breteuil était un homme de tête : il ne s’oubliait pas dans la tourmente. Et d’ailleurs, il était sûr de la victoire.