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« Partout, en effet, où une section particulière du peuple demeure constamment armée tandis que l’autre ne l’est pas, celle-ci devient nécessairement esclave de la première, ou plutôt l’une et l’autre sont réduites en servitude par ceux qui savent s’emparer du commandement ; il faut donc absolument, dans un pays libre, que tout citoyen soit soldat ou que personne ne le soit. Mais la France, entourée de nations ambitieuses et guerrières, ne peut évidemment se passer de la force armée. Il faut donc, suivant l’expression de Jean-Jacques Rousseau, que tout citoyen soit soldat par devoir et aucun par métier. Il faut donc qu’à la paix, au plus tard, tous les bataillons de la troupe de ligne deviennent bataillons de la garde nationale ; que les uns et les autres n’aient plus qu’un même régime, une même solde, un même habit… Alors chaque corps nommera ses officiers, et on ne verra plus ceux-ci, vendus au pouvoir exécutif, passer à l’ennemi et trahir la patrie qui les a comblés de ses bienfaits.

« Alors rien ne sera plus simple que le nouveau système militaire, rien de plus fort, de plus économique, de plus conforme à l’esprit de la Constitution. Pendant la paix, les frontières seront gardées par des bataillons alternativement fournis chaque année par divers départements. Les citoyens s’exerceront dans leurs cantons et districts respectifs, comme en Suisse, par escouades, par compagnies, par bataillons ; chacun sera muni d’avance d’un équipage complet pour la guerre ; les jeunes gens aisés se piqueront d’avoir des chevaux dressés pour former les corps de cavalerie et se réuniront pour s’exercer aux manœuvres ; il y aura des camps annuels dans les divers départements, des fêtes militaires y seront célébrées avec la pompe des tournois et des carrousels, des prix solennels seront décernés aux vainqueurs. »

Ainsi, à Danton qui appelait tous les citoyens, dans l’intérêt de la patrie, au droit politique, répondait Carnot qui les appelait tous aux armes. Comment l’oligarchie bourgeoise aurait-elle pu tenir devant l’universel armement du peuple ? Mais l’Assemblée législative, inconséquente et tiraillée, était aussi timide à aborder le problème constitutionnel qu’elle était généreuse et hardie à organiser la défense militaire de la patrie menacée. Elle ne sut même pas châtier Lafayette de sa démarche factieuse, et le 8 août, l’Assemblée décréta, malgré l’insistance des Girondins, qu’il n’y avait pas lieu à accusation contre lui.

L’émotion du peuple fut violente, et tous se disaient : Puisque l’Assemblée n’ose pas frapper Lafayette, qui s’est fait le défenseur factieux de la Cour, comment oserait-elle frapper la Cour elle-même ? Comment oserait-elle demander compte à la royauté elle-même de ses trahisons ? Il n’y avait donc plus d’autre recours que la force. À cette action insurrectionnelle, prévue, annoncée, les Girondins, même à cette date extrême du 8 août, refusaient de s’associer.