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s’emparèrent de l’autorité municipale dans la nuit du 9 au 10 août. »

Mais s’il est fort possible que Carra soit un hâbleur, et qu’il ait grossi son rôle personnel, il reste vrai que les fédérés n’étaient point dispersés, qu’ils avaient formé un Comité central et que ce Comité central auquel avaient été appelés des hommes d’action comme Santerre, et surtout comme Lazowsky et Westermann, était un des ressorts du mouvement. Mais les délégués des sections avaient une action plus vaste.

Danton était en rapport avec les deux organisations révolutionnaires. Par l’arrêté de la section du Théâtre Français, signé de lui, il avait donné aux sections le branle insurrectionnel. Et en outre, dès le lendemain du banquet des Marseillais, les fédérés de Marseille furent invités par la section du Théâtre Français à prendre domicile chez elle. Danton était ainsi comme au point de croisement des deux organisations révolutionnaires. Robespierre se sentait sans doute débordé par la violence des événements. Il avait dû renoncer, dès les premiers jours d’août, à l’espoir d’une révolution légale qu’un moment il avait entrevue ; et subtil, discret, il attendait la marche des choses.

L’Assemblée semblait avoir perdu toute vertu de décision, et ses arrêts étaient purement négatifs. Elle cassait l’arrêté de la section Mauconseil, mais elle-même n’indiquait aucune solution à la crise. Dans l’ordre militaire, elle voyait et faisait grand. Elle essayait d’armer tout le peuple ; elle approuvait le 1er août le beau rapport de Carnot sur la fabrication des piques ; sur l’armement universel :

« Votre commission vous a proposé des piques, parce que la pique est en quelque sorte l’arme de la liberté, parce que c’est la meilleure de toutes entre les mains des Français, parce qu’enfin elle est peu dispendieuse et promptement exécutée.

« D’ailleurs, il n’existe pas en France actuellement et il ne peut exister de longtemps encore assez d’armes à feu pour que tous les citoyens en soient pourvus, et cependant leurs propriétés, leur vie, leur liberté sont menacées de toutes parts, et on les abandonne presque sans secours à la fureur de leurs ennemis.

« Il est une vérité qui doit enfin paraître évidente à quiconque veut ouvrir les yeux, c’est que les gouvernements qui nous entourent veulent tous notre destruction ; c’est que ceux qui nous parlent d’amitié ne le font que pour mieux nous tromper ; c’est qu’en ce moment nous n’avons plus d’autre politique à suivre que celle d’être les plus forts.

« Mais le danger de l’instant, celui qui frappe les yeux de la multitude, c’est peut être le moins grave ; le plus réel, le plus inévitable est dans l’organisation même de la force armée, de cette force qui, créée pour la défense de la liberté, renferme en elle-même le vice radical qui doit infailliblement la déchirer.