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« Déclare que la Patrie étant en danger, tous les hommes français sont de fait appelés à la défendre ; que les citoyens vulgairement et aristocratiquement connus sous le nom de citoyens passifs, sont des hommes français partout, qu’ils doivent être et qu’ils sont appelés tant dans le service de la garde nationale pour y porter les armes, que dans les sections et dans les assemblées primaires pour y délibérer ;

« En conséquence, les citoyens qui ci-devant composaient exclusivement la section du Théâtre Français, déclarant hautement leur répugnance pour leur ancien privilège, appellent à eux tous les hommes français qui ont un domicile quelconque dans l’étendue de la section, leur promettent de partager avec eux l’exercice de la portion de souveraineté qui appartient à la section ; de les regarder comme des frères concitoyens, co-intéressés à la même cause et comme défenseurs nécessaires de la déclaration des droits, de la liberté, de l’égalité, et de tous les droits imprescriptibles du peuple et de chaque individu en particulier ».

C’était signé de Danton, président, d’Anaxagoras Chaumette, vice-président, et de Momoro, secrétaire.

Je reconnais dans cet arrêté la marque de Danton. Il était, si je puis dire, l’admirable juriste de l’audace révolutionnaire. Il excellait à interpréter dans le libre sens du peuple et de ses droits, la Constitution elle-même ; il en faisait jaillir l’esprit, il en suscitait ou en transformait le génie. C’est par un coup de légiste hardi, procédé d’interprétation et d’extension, qu’il s’empare de la déclaration suprême de la Constituante, confiant au courage de tous la défense de la Constitution, pour appeler tous les Français dans la cité. Mais surtout c’est par une sublime inspiration qu’il fait du danger de la Patrie un titre à tous les Français. Ce n’est pas au nom des pauvres, c’est au nom de la Patrie qu’il demande pour tous les citoyens l’égalité politique. La Patrie et la liberté menacée ont droit au courage de tous, à l’énergie de tous, aux lumières de tous, et c’est désarmer la Patrie, c’est désarmer la liberté que de ne pas donner à tous les citoyens des droits égaux pour leur défense.

Comme on distribue des piques à tous, à tous il faut distribuer le pouvoir politique, qui est une arme aussi, la plus terrible de toutes contre les ennemis de la liberté, c’est-à-dire de la Patrie. Ainsi Danton, rattachant les unes aux autres les plus hautes paroles, les plus hautes pensées de la Constituante et de la Législative, en tirait une magnifique jurisprudence révolutionnaire. À côté de lui signaient Momoro, l’imprimeur démocrate dont les conceptions agraires paraîtront bientôt contraires à la propriété, et Anaxagoras Chaumette, qui sera, après le Dix Août, le président, puis le procureur de la Commune de Paris. C’était un jeune enthousiaste de vingt-neuf ans. Presque enfant, et après des conflits avec ses maîtres, à Nevers, il avait été embarqué comme mousse ; matelot, timonier, il avait été roulé à travers le monde, et toujours, dans son métier, il avait su employer à lire, à étudier, à rêver ses