Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/514

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nationale sans précédent, à faire appel à toutes les énergies populaires et à éviter en même temps toute secousse trop brusque, tout attentat inutile aux traditions et aux préjugés. Elle était grande, et, malgré ce qui s’y mêle de haine venimeuse et calomnieuse contre la Gironde, qu’il accuse d’être prête à machiner avec le roi même la déchéance, pour lui rendre ensuite son pouvoir accru, elle était désintéressée.

Mais le point faible du programme de Robespierre, c’est qu’à une heure terrible où il semble bien que la légalité soit devenue impuissante et funeste et quand la force révolutionnaire est prête à déborder de toute part, lui, il s’enferme étroitement dans une procédure légale.

C’est en vain qu’il fait apparaître à l’horizon prochain la grande image de la Convention nationale. La question de la déchéance reste au premier plan, et il faut bien la résoudre. Robespierre lui-même n’ose pas demander ouvertement qu’elle soit ajournée et réservée à la Convention. Comment avoir raison, avec des sous-entendus, avec des dérivatifs, du mouvement formidable du peuple ?

Et d’ailleurs si les élections se faisaient sans que la déchéance du roi eût été formellement prononcée, qui sait si le malaise d’une situation fausse ne paralyserait pas l’élan des assemblées primaires elles-mêmes ?

D’autre part, si la déchéance s’impose, il est visible que la Législative où la résistance des Feuillants se fortifie de l’inertie des Girondins, ne la décrétera que sous la pression de la force populaire. Mais cette force populaire, ne serait-il pas dangereux qu’elle violentât à l’Assemblée qui, malgré tout, porte en elle, contre tous les tyrans, l’esprit de la Révolution ? Et ne vaut-il pas mieux que le peuple révolutionnaire passant à côté de l’Assemblée, donne directement l’assaut à la royauté en sa forteresse des Tuileries ?

Ce n’est donc pas des Girondins, ce n’est pas non plus de Robespierre qu’en cette crise suprême viendra la solution ; c’est de l’instinct révolutionnaire du peuple, et c’est du sens révolutionnaire de Danton.

Danton, en ces décisives journées, eut une action réelle plus grande que son action visible. Il ne pouvait donner un signal public d’insurrection, car les mouvements populaires n’ont chance d’aboutir que lorsqu’ils jaillissent, pour ainsi dire, d’une passion générale et spontanée. Mais la journée du 20 juin, les incertitudes de la Gironde, les combinaisons trop savantes et un peu factices de Robespierre, tout avertissait Danton que la force populaire trancherait l’inextricable nœud. Il était convaincu que la déchéance était nécessaire et que l’heure était venue de l’imposer par tous les moyens ; et autant qu’il dépendait de lui, il animait vers ce but les sections des faubourgs déjà passionnées et remuantes.

Il est difficile dans ce vaste et terrible mouvement, de retrouver la trace exacte de son action personnelle. Depuis les persécutions qui avaient suivi la journée du Champ de Mars, le club des Cordeliers était bien diminué, et