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la France de la Révolution, non plus en face d’une misérable troupe d’émigrés, mais en face de l’Europe monarchique et féodale :

« Je vous l’ai déjà fait pressentir : toutes vos lois et contre les émigrants et contre les rebelles et contre leurs chefs seraient inutiles, si vous n’y joignez pas une mesure essentielle, seule propre à en assurer le succès, et cette mesure concerne la conduite que vous avez à tenir à l’égard des puissances étrangères qui maintiennent et encouragent ces émigrations et ces révoltes.

« Je vous ai démontré que cette émigration prodigieuse n’avait lieu que parce que vous aviez épargné les chefs de la rébellion, que parce que vous avez toléré le foyer de contre-révolution qu’ils ont établi dans les pays étrangers ; et ce fait n’existe que parce qu’on a négligé ou craint jusqu’à ce jour de prendre des mesures convenables et dignes de la nation française, pour forcer les puissances étrangères, d’abandonner les rebelles. »

« Tout présente ici, Messieurs, cet enchaînement de fraudes et de séductions. Les puissances étrangères trompent les princes, ceux-ci trompent les rebelles, les rebelles trompent les émigrants. Parlons enfin le langage d’hommes libres aux puissances étrangères et ce système de révolte, qui tient à un anneau factice, tombera bien vite ; et non seulement les émigrations cesseront, mais elles reflueront vers la France ; car les malheureux qu’on enlève ainsi à leur patrie désertent dans la ferme persuasion que des armées innombrables vont fondre sur la France et y rétablir la noblesse. Il est temps enfin de faire cesser ces espérances chimériques qui égarent des fanatiques ou des ignorants ; il est temps de montrer à l’univers ce que vous êtes, hommes libres et Français. » (Applaudissements prolongés.)

Hélas ! quelle mystification, et avec quelle facilité l’Assemblée se laisse prendre à des raisonnements aussi dangereux qu’enfantins ! Car s’il est vrai que les puissances étrangères trompent les émigrants, s’il est vrai qu’elles ne sont nullement disposées à mettre à leur service des soldats, la vérité ne tardera pas à éclater à tous les yeux : la déception ramènera bientôt les émigrants, et tout ce prestige s’évanouira sans que la France ait couru le risque d’indisposer les puissances étrangères par des fanfaronnades et des menaces. Si les puissances sont foncièrement pacifiques, pourquoi s’exposer à susciter en elles des sentiments belliqueux ?

Mais soudain, comme s’il avait senti la frivolité de sa thèse, Brissot jette le trouble dans l’esprit de l’Assemblée par la plus détestable exaltation et par les contradictions les plus étranges. Il fait appel au sentiment de la gloire, à l’amour-propre blessé. Il montre le peu de cas que les puissances font de la France révolutionnaire, de sa Constitution nouvelle. Partout, en tous pays, à Naples, en Russie, en Suisse, à Liège, nos ambassadeurs ne trouvent point les égards auxquels ils ont droit. Et Brissot, en un tableau effrayant et sommaire, nous montre un instant toute l’Europe conjurée contre nous :

« Est-il vrai que dans cette fameuse entrevue de Pilnitz, on ait conjuré