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Ce discours de Brissot est un suicide. Comment l’expliquer ? Était-il tellement hypnotisé par son système de ministérialisme révolutionnaire qu’il ait jugé utile, pour aller au cœur du roi, d’aller jusqu’à un pseudo-modérantisme ? Ou a-t-il eu peur que la déchéance entraînât le renouvellement de tous les pouvoirs, et que l’Assemblée nouvelle ne subit pas l’ascendant croissant de la Gironde comme celle-ci ? En tout cas, la chute est profonde. La seule excuse de Brissot, pour avoir témérairement déchaîné la guerre, c’était d’avoir évoqué la tempête qui déracinerait la royauté. Mais prendre prétexte de cette tempête même pour maintenir la royauté, c’était le désaveu de tout ce qui pouvait légitimer l’entreprise belliqueuse de la Gironde.

En ce jour, celle-ci a donné sa mesure. Elle a montré qu’elle était inférieure aux grands événements suscités par elle, que, capable de vues hardies et même de saillies téméraires, elle était incapable de cette suite, de cette constance, de cette largeur d’audace qui seules peuvent accorder l’esprit de l’homme aux Révolutions.

Depuis bientôt un mois, depuis le discours de Vergniaud, et comme si la pensée des Girondins s’était toute épuisée en un magnifique éclair d’éloquence, la Gironde n’a plus ni une idée claire ni un ferme vouloir. Elle se borne à gagner du temps ; elle ne sait que dire au flot qui monte, ou elle le morigène sottement, incapable également de le guider et de l’arrêter.

Que le roi demeure, que l’Assemblée ne se sépare pas, et que le roi se décide enfin à rappeler les ministres patriotes. Elle est comme immobilisée dans cette pensée tous les jours plus absurde ; et quand le vide de cette conception lui apparaît, elle ne cherche même pas une autre combinaison : c’est comme une hébétude politique étrange chez ces hommes d’esprit si vif.

La tactique de la Gironde et surtout le mouvement des sections demandant la déchéance obligèrent Robespierre à sortir du vague où il se tenait encore vers le 20 juillet et à préciser son plan. Il consiste avant tout à en finir avec l’Assemblée législative et à convoquer une Convention nationale. C’est moins contre Louis XVI que contre la Législative où les Girondins, maîtres de la Commission des Douze, dominaient maintenant, que Robespierre porte ses coups.

Il est trop avisé pour combattre la déchéance. Il sent bien qu’elle est le vœu tous les jours plus net de la portion la plus active du peuple. Mais il en réduit si bien l’importance, il déclare avec tant d’insistance que, seule, cette mesure serait ou inefficace ou même nuisible, qu’on voit bien qu’il y a là pour lui une concession à l’opinion révolutionnaire plutôt qu’un plan politique.

Surtout il ne veut pas qu’après avoir proclamé la déchéance du roi la Législative garde le pouvoir. La Législative sans roi, la Législative devenue roi lui paraît plus dangereuse que le triste amalgame de la Législative et de Louis XVI. Si le roi est coupable, l’Assemblée l’est plus encore de n’avoir pas