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de Sardaigne d’envahir le sol français et d’aller jusqu’à l’Ardèche et jusqu’à Lyon fomenter des mouvements contre-révolutionnaires, la guerre qui semble, d’avril à la fin de juillet, n’avoir apparu au peuple de France que comme un fantôme lointain et léger, à peine discernable à l’horizon, prend corps tout à coup. Et la question se pose. Comment combattre les tyrans étrangers sous la direction d’un roi qui désire et prépare leur victoire ?

C’est Choudieu, le vigoureux révolutionnaire de Maine-et-Loire qui, le premier, le 23 juillet, porta à la tribune le vœu de déchéance. C’était une pétition qui arrivait d’Angers, avec dix pages de signatures ; elle était terrible en sa concision. Le temps des phrases girondines, menaçantes et molles, était passé.

« Législateurs, Louis XVI a trahi la nation, la loi et ses serments. Le peuple est son souverain. Prononcez la déchéance, et la France est sauvée. »

Les applaudissements furent vifs à l’extrême-gauche et dans les tribunes. Mais pour la grande majorité de l’Assemblée, le choc était violent encore. Plusieurs demandèrent que Choudieu fût envoyé à l’Abbaye. Il répondit avec une fierté rude : « Je désire être envoyé à l’Abbaye pour une telle adresse », et celle-ci fut renvoyée à la Commission des Douze. Le lendemain, c’est Duhem qui mène l’assaut. Les nouvelles du Nord, de Valenciennes, étaient mauvaises.

« Vous avez pris, s’écria-t-il, les mesures nécessaires pour rétablir l’ordre ; pour la défense du royaume ; mais entre les mains de qui les avez-vous mises ces mesures ? Entre les mains du pouvoir exécutif, entre les mains du premier traître qui se trouve dans le royaume. »

L’Assemblée s’accoutumait ainsi à entendre sonner le tocsin de déchéance. Duhem presse la Commission des vingt-un de dénoncer enfin la vraie source des maux de la patrie, c’est-à-dire la trahison royale.

Vergniaud, président de la Commission, se dérobe encore. Il multipliait les mesures à côté, les projets d’organisation militaire, les motions sur la responsabilité collective et la solidarité des ministres afin de gagner du temps et de ne pas porter devant l’Assemblée le procès direct du roi et de la royauté. C’est de mauvaise humeur qu’il répond à Duhem :

« La Commission a commencé par vous présenter les mesures relatives à l’armée, parce qu’une des causes des dangers de la patrie est l’insuffisance de nos armées. Quant à celle dont on parle sans cesse, je dirais peut-être trop (Murmures à droite, vifs applaudissements à gauche), votre Commission extraordinaire s’en occupe, mais elle est incapable de se livrer à des mouvements désordonnés, qui puissent être une source de guerre civile. »

Visiblement la Gironde élude encore. Qu’attendait-elle donc ? Espérait-elle toujours la solution, maintenant chimérique et tardive, d’un ministère patriote, qui aurait disparu, sans le combler, dans l’abîme de soupçon où la royauté allait périr ?