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chêne, 15,000 volontaires s’inscrivirent. Hélas ! cette pure ferveur du combat pour la liberté devait aboutir un jour à la servitude militaire, et sous la table qui portait les registres d’inscription la vibration de tous les enthousiasmes se répercutait au creux des tambours. Mais à cette minute, rien de mécanique ni de servile ne pesait encore sur l’élan sacré. C’est en vain aussi que Marat, rapetissant en une défiance crispée la grande clairvoyance révolutionnaire, adjurait aigrement les volontaires de ne pas aller à la frontière avant qu’on y eût envoyé les troupes de ligne, les gardes nationales royalistes, tous les suppôts armés de la tyrannie. C’est en vain que selon le récit du journal de Prudhomme, qui, tout en combattant Marat, lui ménage souvent un écho assourdi, pédantesque et diffus, c’est en vain que « plusieurs citoyens, dont on respecte le motif, disaient tout haut : « Eh ! malheureux ! où courez-vous ? « Pensez-vous donc sous quels chefs il vous faudra marcher à l’ennemi ? Vos officiers sont presque tous des nobles ; un Lafayette vous mènera à la boucherie. Eh ! ne voyez-vous pas comme sous les persiennes du château des Tuileries on sourit d’un rire féroce à votre empressement généreux, mais aveugle ? Réfléchissez donc ! » — « Discours inutiles, ajoute le témoin un peu guindé ; et incapables de ralentir l’ardeur générale. La jeunesse électrisée n’entendait rien. »

Et elle avait raison de ne pas entendre. Les sections révolutionnaires aussi avaient raison d’animer tous les citoyens et de ne pas même compter avec l’âge : c’est le propre des grands événements de mûrir soudain l’enfance elle-même et de donner à l’adolescence une force virile ; la ferveur de l’enfance transfigurée met une lueur d’aurore sur les graves espérances de la nation.

« Si je n’avais consulté que les apparences, s’écriait l’officier qui amenait 78 adolescents de la section des Quatre-Nations, la taille de quelques-uns se serait opposée à leur admission ; mais j’ai posé ma main sur leurs cœurs et non sur leurs têtes ; ils étaient tout brûlants de patriotisme. »

Oui, ces jeunes hommes avaient raison de ne pas écouter les conseils d’une fausse sagesse révolutionnaire. C’est en courant à la frontière contre l’envahisseur qu’ils brisaient au dedans l’œuvre de trahison ; car quel est le citoyen qui, les voyant aller au péril, à la mort peut-être pour la liberté commune, n’ait fait en son cœur le serment de ne pas les livrer à l’entreprise des traîtres et à l’intrigue « du premier des traîtres », le roi ?

C’est ainsi, en effet, que Duhem, le 24 juillet, appela le roi à la tribune de l’Assemblée. Les adresses demandant la déchéance de Louis XVI commençaient à arriver. Quand les généraux de l’armée du Rhin, Lamorlière, Biron, Victor Broglie et Wimpfen, le 25 juillet, annoncèrent par lettre à l’Assemblée que pour couvrir la frontière menacée, ils avaient dû réquisitionner d’office les gardes nationales de l’Alsace ; quand Montesquiou, commandant l’armée du Midi, vint en personne, le lendemain, exposer à l’Assemblée qu’avec les faibles ressources dont il disposait, il ne pouvait empêcher les troupes du roi