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naître le terme où l’on veut arriver et le chemin où l’on doit marcher. Il faut un plan et des chefs pour exécuter une grande entreprise. »

Voilà, vingt jours avant le 10 août et à l’usage des fédérés bouillonnants, quelle est la politique de Robespierre : politique d’attente, de prudence et de légalité. Pas de mouvement de la rue, pas d’insurrection, pas d’assaut aux Tuileries, pas d’agression contre la personne du roi et même pas d’attaque inconstitutionnelle contre son pouvoir constitutionnel. C’est de la vigoureuse action de l’Assemblée et, à son défaut, d’une vigoureuse action légale de toute la France qu’il faut attendre le salut. Mais comment ? Robespierre reste énigmatique et vague.

Car quel moyen aura l’Assemblée de prendre toutes les mesures de salut sans lesquelles la liberté et la patrie vont périr, si le roi peut les paralyser par un veto qui est dans la Constitution ? comment l’Assemblée pourra-t-elle châtier les généraux traîtres et donner le commandement à des généraux fidèles, si les ministres, choisis par le roi d’après la Constitution, s’obstinent à couvrir la trahison, à ligotter la patrie ? Le plus sûr serait sans doute d’imposer au roi, par la vigueur, par la fermeté de l’Assemblée, des ministres patriotes ; mais n’est-ce point retomber dans la politique de la Gironde ? et Robespierre n’a-t-il pas déclaré maintes fois qu’il tenait pour suspectes et corruptrices toutes ces combinaisons ministérielles ? Il semble bien qu’entre la révolution de la rue et la politique de la Gironde il n’y avait pas de milieu. Ou renverser le gouvernement royal, ou y installer la Révolution, voilà semble-t-il, le dilemme qui s’imposait ; Robespierre ne veut ni l’un ni l’autre : quelle issue laisse-t-il aux événements ?

Et ce recours à l’action générale et légale du pays, qu’il semble annoncer en termes vagues comme la suprême ressource, comment l’entend-il ? Il n’a garde de le dire encore. Peut-être n’avait-il pas encore, à cet égard, le plan précis que quelques jours plus tard, quand il sera comme acculé par les événements, il développera ; peut-être aussi, avec sa prudence accoutumée, ne voulait-il pas se découvrir avant l’heure et ajouter à l’agitation par des suggestions prématurées.

Quel habile agencement ! Comme, tout en déconseillant l’emploi de la force révolutionnaire, il en proclame la légitimité pour pouvoir en accepter sans embarras les résultats ! Mais il n’y avait certes pas là une force d’impulsion.

Plus hésitante encore était la Gironde. Après le discours terrible, mais encore incertain de Vergniaud, Brissot était venu le 9 juillet demander qu’une instruction fût ouverte pour savoir si le roi avait réellement fait contre l’étranger l’acte formel d’opposition exigé par la Constitution. C’était ouvrir la procédure de déchéance. Mais le discours de Brissot, coïncidant avec le baiser Lamourette, n’avait pas porté.

Et il semblait que la Gironde et Brissot lui-même se fussent ensuite