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force des événements qui soulèvent les esprits déborde infiniment toute parole individuelle.

La voix stridente et un peu grêle de Marat se perd dans le tumulte grandissant de la Révolution prochaine, comme le cri aigu d’un oiseau de mer dans la clameur croissante des flots soulevés. Un moment même, le 21 juillet, en un accès de désespoir, il annonce sa retraite ; c’est la royauté qui va à l’abîme, et lui, le prophète, il croit que c’est la Révolution :

« Qu’ai-je retiré de ce dévouement patriotique, que la calomnie des ennemis de la liberté, la haine des méchants, la persécution des suppôts du despotisme, la perte de mon état, l’indigence, l’anathème de tous les grands de la terre, la proscription et les dangers d’un supplice ignominieux ? Mais, ce qui me touche encore plus, c’est la noire ingratitude du peuple, le lâche abandon des patriotes. Où sont ces faux braves qui affichaient tant de zèle, tant d’audace dans leurs clubs, qui avaient fait serment de me défendre au péril de leur vie, de verser pour moi tout leur sang ? Ils ont disparu à la vue du danger, à peine me reste-t-il quelques amis, à peine me reste-t-il un asile. Saint amour de la Patrie, dans quel abîme affreux tu m’as précipité. Mais non, je ne souillerai point par de tristes regrets la pureté de mes sacrifices. Quelque horrible que soit mon sort, j’étais déterminée le subir, dès l’instant où j’ai épousé votre cause, je m’étais dévoué à tous les malheurs pour vous rendre heureux. Dans l’excès de mon infortune, le seul chagrin qui m’accable est la perte de la liberté. Que les ennemis de la Patrie qui savent à quel point je la chérissais et qui m’ont fait un crime de mon zèle, ne peuvent-ils être témoins de mon désespoir : ils trouveraient que les dieux m’ont assez puni. »

L’accent est beau, mais voilà bien le châtiment de ces sensibilités déréglées et violentes. Elles se dépensent en fureurs stériles, en prédictions lointaines, en vaines objurgations aux heures d’inévitable pesanteur populaire. Et s’étant ainsi comme épuisées elles-mêmes, elles ne vibrent plus à l’approche des grands événements qui font palpiter même les âmes communes.

Marat, le 22 juillet 1792, ne pressentait pas la victoire prochaine du peuple et de la Révolution. Le mouvement des sections, aux premiers jours d’août, ranimera ce système nerveux instable et usé.

Robespierre devinait bien les vastes et prochains mouvements. Mais l’effervescence des fédérés lui faisait peur. Il s’obstinait à les maintenir dans la légalité : d’un coup de main victorieux ne sortirait que l’anarchie ou la dictature. C’est par des moyens légaux qu’il voulait sauver et compléter la Révolution.

Il ne fallait pas briser les ressorts de la Constitution, mais il fallait les tendre dans le sens de la démocratie et de la volonté nationale. Les fédérés, écrit-il dans le Défenseur de la Constitution du 15 au 20 juillet, « sont arrivés à Paris au moment de la plus horrible conspiration prête d’éclater contre la