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tait lui-même, Lafayette, malgré la droiture de son patriotisme, glissait aux limites de la trahison. La reine avait averti de ces projets Fersen et le comte de Mercy. Ils les combattaient énergiquement. Sans doute, ils avaient peur d’une réédition aggravée de Varennes. Et puis, pour eux, le roi aux mains de Lafayette, c’est encore le roi aux mains de la Révolution. Attendre à Paris, et n’avoir pas d’autre libérateur que l’étranger, voilà le mot d’ordre.

Fersen écrit à Marie-Antoinette le 10 juillet : « Votre courage est admirable et la fermeté de votre mari fait un grand effet. Il faut conserver l’un et l’autre pour résister à toute tentative pour vous faire sortir de Paris. Il est très avantageux d’y rester. Cependant je suis entièrement de l’avis de M. de Mercy sur le seul cas où il fallût en sortir ; mais il faut prendre bien garde d’être assuré, avant de le tenter, du courage et de la fidélité de ceux qui protégeraient votre sortie… car, si elle manquait, vous seriez perdus sans ressource, et je n’y pense pas sans frémir. Ce n’est donc pas une tentative à faire légèrement et sans être sûr de la réussite. Il ne faudrait jamais, si vous le faites, appeler Lafayette, mais les départements voisins… »

Le 11 juillet, Marie-Antoinette écrit à Fersen : (en chiffre) : Les Constitutionnels réunis à Lafayette et à Luckner veulent emmener le roi à Compiègne le lendemain de la fédération ; à cet effet, les deux généraux vont arriver ici. Le roi est disposé à se prêter à ce projet ; la reine le combat. On ignore encore quelle sera l’issue de cette grande entreprise que je suis loin d’approuver. Luckner prend l’armée du Rhin, Lafayette passe à celle de Flandre, Biron et Dumouriez à celle du centre. (En blanc). Votre banquier de Londres n’est pas très exact à me faire passer les fonds. »

Luckner vint à Paris dans la nuit du 13 au 14, et il assista à la fête de la Fédération. Lafayette ne vint pas. La réponse négative du roi, qui avait cédé enfin aux instances de Marie-Antoinette, l’avait rebuté ; et tout ce complot avorté ne servit qu’à compromettre encore le roi et Lafayette. Le bruit en effet, que les deux généraux avaient songé à marcher sur Paris ne tardait pas à se répandre. Le journal de Prudhomme dit mystérieusement en parlant de Lafayette :

« On dit qu’un certain grand personnage était caché (le 14) sous le tapis de velours à frange d’or qui recouvrait le balcon de l’école militaire, témoin invisible des imprécations continues qu’un cortège de 60,000 hommes lui donnait en entrant dans le champ de la Fédération ; dans ce même champ où il avait pensé, les années précédentes, être étouffé dans des nuages d’encens ; du moins, ce jour-là, l’armée de Lafayette le cherchait partout. Mais Luckner aussi avait bien quitté la sienne et les houlans pour venir défendre son roi, en cas de besoin contre les factieux du 14 juillet. »

Mais ce qui était plus grave pour Lafayette que ces rumeurs étranges, c’est que Luckner, dans son court passage à Paris, jasa. Le 17 juillet, dans une soirée chez l’archevêque de Paris, il laissa entendre que Lafayette lui avait