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faire : écarter toute négociation, et plonger au cœur même de la Révolution le glaive de la Prusse et de l’Autriche.

Elle écarte aussi les combinaisons des Feuillants, qui voulaient enlever le roi de Paris, l’entourer des troupes fidèles ou présumées telles de Lafayette, et de là, sans doute, faire la loi aux Jacobins.

Le plan était absurde : car si cette troupe « constitutionnelle » n’avait pas combiné son effort avec celui de l’étranger, elle ne pouvait rien contre la France de la Révolution, rien que déchaîner sans doute, dans Paris menacé, d’effroyables fureurs. Et si cette troupe royaliste s’était associée, comme il semble inévitable, aux armées étrangères, elle ne faisait que prolonger l’émigration. Lafayette était si animé contre « les factieux », et si exaspéré, il se sentait si bien perdu et réduit à rien par leur triomphe, qu’il ne craignit pas de proposer à la Cour ce plan insensé. Une lettre de M. Lally-Tollendal au roi, du 9 juillet 1792, dit ceci : « Je suis chargé par M. de Lafayette de faire proposer directement à Sa Majesté pour le 15 de ce mois le même projet qu’il avait proposé pour le 12 et qui ne peut plus s’exécuter à cette époque depuis l’engagement pris par Sa Majesté de se trouver à la cérémonie du 14. Sa Majesté a dû voir le plan du projet envoyé par M. de Lafayette, car M. Duport a dû le porter à M. de Montciel pour qu’il le montrât à Sa Majesté. M. de Lafayette veut être ici le 15 ; il y sera avec le vieux général Lückner. Tous deux viennent de se voir, tous deux se le sont promis, tous deux ont un même sentiment et un même projet. Ils proposent que Sa Majesté sorte publiquement de la ville, entre eux deux, en l’écrivant à l’Assemblée nationale, en lui annonçant qu’elle ne dépassera pas la ligne constitutionnelle, et qu’elle se rende à Compiègne. Sa Majesté et toute la famille royale seront dans une même voiture. Il est aisé de trouver cent bons cavaliers qui l’escorteront. Les troupes au besoin, et une partie de la garde nationale protégeront le départ… »

Et Lally ajoute : « Si, contre toute vraisemblance, Sa Majesté ne pouvait sortir de la ville, les lois étant bien évidemment violées, les deux généraux marcheraient sur la capitale avec une armée. » — Oui, et ils y précéderaient de quelques heures le duc de Brunswick. Lafayette lui-même écrit le 8 juillet : « J’avais disposé mon armée de manière que les meilleurs escadrons de grenadiers, l’artillerie à cheval, étaient sous les ordres de M… à la quatrième division, et si ma proposition eût été acceptée, j’emmenais en deux jours à Compiègne quinze escadrons et huit pièces de canons, le reste de l’armée étant placé en échelon à une marche d’intervalle ; et tel régiment qui n’eût pas fait le premier pas serait venu à mon secours, si mes camarades et moi avions été engagés. »

Lafayette n’est donc pas bien sûr de son armée. Mais c’est pour cette marche contre Paris, c’est au moins pour surveiller de plus près les événements, que Luckner, sous l’inspiration de Lafayette, s’était replié de la Belgique sur Lille. Vraiment, pour avoir voulu arrêter la Révolution au point où il s’arrê-