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jouet de l’intrigue. Lameth colportait partout des propos violents contre les jacobins : et on le savait l’homme de la Cour. Une protestation de Louis XVI contre le 20 juin, violente et amère, était à profusion répandue dans l’armée. Entre Lafayette et Lückner il y avait de perpétuels messages dont on devinait bien qu’ils n’avaient pas un objet exclusivement ou principalement militaire.

La force patriotique et révolutionnaire de l’armée était énervée par l’intrigue du modérantisme. Des lettres attristées ou indignées portaient, de l’armée à Paris, la colère des soldats patriotes. Plusieurs de ces lettres furent lues à la tribune de l’Assemblée : « Menin, le 28 juin, l’an IVe de la liberté. L’intrigue, depuis le changement du ministère, a fait des progrès inconcevables. L’armée est travaillée de telle manière que l’on pourrait perdre tout espoir, si le maréchal Lückner n’ouvre les yeux sur tout ce qui l’entoure et principalement sur tous ceux qui sont à la tête de l’état major. »

« L’armée murmure de ce qu’on reste dans l’inaction après les premiers moments de succès. Hier un courrier de M. Lafayette est venu parler au maréchal : une demi-heure après son arrivée, le maréchal a donné l’ordre à tous les équipages et caissons chargés de pain de retourner à Lille, et probablement il aurait donné l’ordre que l’armée se repliât aussi sur Lille, si M. Biron ne l’eût déterminé à suspendre les ordres… Le maréchal est si mal entouré et tellement trompé qu’on lui a mis dans la tête que le comité de Belgique prenait tout l’argent du pays pour l’expédier en Angleterre… Une députation de Belges est venue hier pour prier le maréchal de favoriser l’insurrection qui était prête à éclore et afin qu’il daignât les protéger, en envoyant 2 à 3.000 hommes pour courir le pays.

« Elle lui faisait savoir qu’aucun obstacle ne pouvait arrêter cette opération et qu’il n’y avait point d’Autrichiens. Il s’est mis en colère et a dit à la députation qu’on l’avait trompé, qu’on lui avait promis 60.000 hommes, et qu’il n’avancerait que lorsqu’il les aurait. Je ne sais pas comment M. le maréchal voudrait que le pays s’armât sans armes, et sans être protégé par les armées françaises qui restent dans l’inaction… Il paraît évident que le maréchal a été trompé sur la conduite du Comité et que les intrigants l’ont déterminé à abandonner la Belgique au moment où l’insurrection allait éclater. Que deviendra le Comité et les 1.200 hommes qui se sont si bien montrés à Courtrai dans les différentes attaques ? Que deviendront nos frontières ? Que deviendront Menin et Courtrai, quand l’armée française se retirera, pour avoir si bien reçu et arboré la cocarde nationale ?

«…Il est temps que la nation entière se lève : le moment de frapper est venu : il faut qu’elle recouvre la gloire qu’elle perdrait si elle restait assoupie. L’ennemi n’est point en force, pourquoi reculons-nous ? Toute l’armée murmure. S’il faut qu’elle retourne en France je ne réponds pas des événements fâcheux que cette démarche peut occasionner. Le maréchal tient con-