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« La guerre que nous soutenons aujourd’hui contre la maison d’Autriche, s’écria-t-il, la guerre que la Cour n’a pu éviter est devenue une intrigue, un spectacle qui serait risible pour la postérité, s’il n’était pas scandaleux pour les bons citoyens. Cette guerre n’a que les apparences d’une guerre ; les hommes qui la dirigent sont soumis à l’impulsion de la Maison d’Autriche. C’est par les manèges de cette Maison qui a déjà couvert et qui couvrira encore la France de deuil, que lorsque les premiers succès de nos armées ont mis dans nos mains Courtrai, Ypres, Menin, lorsque déjà une foule de généraux brabançons se sont réunis sous les drapeaux de la liberté ; lorsque le maréchal Lückner, qui commande une armée qu’on a eu soin de ne pas renforcer… a pris à Courtrai une position qui était inattaquable… c’est alors que par reflet d’une intrigue (car le maréchal Lückner à mes yeux n’est pas coupable de ce mouvement) le maréchal a été conduit à ce mouvement de recul par les menaces de l’infernal comité autrichien. »

Jamais Marat, que la Gironde, quelques jours avant, avait fait décréter d’accusation parce qu’il jetait le soupçon et le doute dans l’esprit des soldats, n’avait prononcé de paroles plus graves. Mais la Gironde, rejetée du pouvoir, menacée par la contre-révolution et par les feuillants, essayait de porter des coups mortels.

D’ailleurs, en dénonçant l’intrigue qui paralysait les mouvements et l’élan de nos armées, elle voyait juste et sauvait la patrie. Sur le détail, Gensonné se trompait. Le ministre de la guerre Lajard n’avait pas donné d’ordres à Lückner, et, en apparence, c’est bien spontanément que celui-ci se repliait. Il donna les raisons de sa retraite dans une lettre lue à l’Assemblée le 2 juillet. Il prétendait qu’avec une armée de 20.000 hommes seulement, il était très à découvert et très exposé : il n’aurait pu pousser sa pointe ou même maintenir ses positions que si les populations belges s’étaient soulevées contre l’Autriche et ralliées à la Révolution. Mais il n’en était rien : « Je suis dans la position de Menin : mon avant-garde est à Courtrai ; tout le pays entre Lamoy, Bruges et Bruxelles est couvert par mon armée et sans troupes ennemies. Malgré cela, aucun mouvement ne s’effectue de la part des Belges ; je n’entrevois pas même la plus légère espérance de l’insurrection si manifestement annoncée ; et quand je serais encore maître de Gand et de Bruxelles, j’ai presque la certitude que le peuple ne se rangerait pas plus de notre côté, quoi qu’en dise un petit nombre de personnes à qui peu importe le salut de la France, dans la seule vue de satisfaire leur ambition et leur fortune… Dans cette position et avec 20.000 hommes qui forment la totalité de mon armée, je ne puis pas me maintenir devant l’ennemi sans laisser Lille à découvert. »

La vérité est que les préoccupations politiques des chefs avaient brisé ou faussé le ressort militaire. Lafayette depuis des semaines, et avant même le 20 juin, regardait beaucoup plus vers Paris que vers l’étranger. Il songeait