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Constitution, un silence plein de blâme ; ces mouvements confus et violents contrariaient sa tactique de démocratie conservatrice, patiente et tenace. Les Girondins craignirent un moment que la violence subie par le roi lui ramenât la sympathie du pays, et ils adoucirent d’abord, autant qu’ils le purent, les couleurs de la journée.

« Les habitants des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, dit le Patriote français, ont, en sortant de l’Assemblée nationale, été rendre visite au roi, et lui présenter une pétition. Il l’a reçue avec beaucoup de calme, et a mis, à leur prière, le bonnet rouge. Un député lui disait qu’il était venu partager ses dangers. — « Il n’en est point au milieu des Français », a-t-il répondu. — Le peuple s’est conduit, dans le château, en peuple qui connaît ses devoirs, et qui respecte la loi et le roi constitutionnel. L’Assemblée nationale, instruite de ce qui se passait, a envoyé successivement plusieurs députations au roi. Le maire de Paris est parvenu à faire évacuer insensiblement le château ; à neuf heures, il était vide et tout était calme, et cependant plus de quarante mille hommes avaient marché. Et voilà le peuple que les Feuillants calomnient ! »

En vérité, c’est une idylle. Je n’aime pas beaucoup cette hypocrisie douceâtre. Si le devoir du peuple était d’être strictement constitutionnel, il manquait à son devoir en envahissant le château et en essayant d’imposer au roi par la force la sanction des décrets qu’il rejetait. Mais le devoir du peuple était de délivrer la Révolution d’une royauté traîtresse, et la Gironde ne le disait pas. Dans les grandes crises, il y a toujours eu en sa politique quelque chose de grêle et de fêlé. Mais les Girondins s’aperçurent vite que le roi et les Feuillants allaient exploiter contre la démocratie révolutionnaire les événements du 20 juin, et ils ne tardèrent pas à hausser le ton.

« Le roi prit la main d’un grenadier, la mit sur son cœur, et lui dit : « Croyez-vous que je tremble ? » Il disait à un autre : « L’homme de bien est toujours tranquille. » Cette tranquillité était motivée, sans doute, sur la connaissance que doit avoir le roi de la bonté et de l’indulgence du peuple français ; il savait bien qu’il n’avait rien à craindre de ce peuple qui lui avait pardonné le 14 juillet et le 6 octobre 1789, le 10 avril et le 25 juin 1791 ; il savait bien que ce peuple souffre longtemps avant de se plaindre, se plaint plus longtemps encore avant de punir. »

C’était un avertissement très net donné au roi. Prenez garde : si vous essayez de dramatiser à votre profit la journée du 20 juin, si vous tentez d’émouvoir la pitié, la fidélité de la France, et de nous créer une légende de souffrance et d’héroïsme, nous allons refaire l’histoire de vos crimes et de vos trahisons. Louis XVI, en effet, cherchait à exciter la sensibilité des Français. De toute part se répandaient des récits touchants sur la « Passion » de ce Christ de la royauté, sur le fiel et le vinaigre dont l’avaient abreuvé des sujets rebelles. Lui-même adressait à l’Assemblée une lettre discrète et habile