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entraîner, à répéter que c’était une manifestation pacifique qu’ils organisaient. Le directoire du département, très effrayé, envoyait au maire Pétion lettre sur lettre pour l’avertir du mouvement qui se préparait, et lui demander de réquisitionner au besoin les troupes de ligne. Pétion, élu des faubourgs, ami des démocrates et des Girondins, se dérobait. Comme maire, il ne pouvait seconder un mouvement révolutionnaire et illégal. Mais il ne voulait pas s’y opposer par la force et il éludait les instances du directoire. Ainsi, à défaut d’une autorisation légale, les chefs du mouvement avaient-ils pour eux la complaisance secrète et les ignorances volontaires du maire jacobin. Pourtant, il ne pouvait s’abstenir entièrement.

Pour couvrir sa responsabilité, il donnait des ordres. Mais ou bien ces ordres étaient puérils, comme lorsqu’il réquisitionnait la force armée pour empêcher le peuple de couper dans la cour du Couvent de Sainte-Croix les peupliers dont il voulait faire des arbres de mai. Ou bien ils étaient tardifs, comme lorsqu’il lance le 20 juin, à minuit, l’ordre de rassembler la garde nationale.

En fait, il se borna à inviter le commandant, le 19 juin, à doubler les postes des Tuileries. Dès le 19, l’orage grondait, et il était certain que la journée du lendemain serait émouvante. Les faubourgs paraissaient résolus à marcher, et une sorte de souffle chaud passait sur l’Assemblée, qui lui venait du Midi ardent. Marseille était en effervescence révolutionnaire. Les patriotes marseillais adressèrent à la Législative une adresse qui fut lue par Cambon, le 19 juin, à la séance du soir :

« Législateurs, la liberté française est en péril : les hommes libres du Midi se lèvent pour la défendre.

« Le jour de la colère du peuple est arrivé. (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Ce peuple, qu’on a toujours voulu égorger ou enchaîner, las de parer des coups, à son tour est près d’en porter ; las de déjouer des conspirations, il a jeté un regard terrible sur les conspirateurs. Ce lion généreux, mais aujourd’hui trop courroucé, va sortir de son repos pour s’élancer contre la meute de ses ennemis.

« Favorisez ce mouvement belliqueux, vous qui êtes les conducteurs, comme les représentants, du peuple ; vous qui avez à vous sauver ou à périr avec lui. La force populaire fait toute votre force ; vous l’avez en mains, employez-la. Une trop longue contrainte pourrait l’affaiblir ou l’agacer. Plus de quartier, puisque nous n’en avons aucun à attendre. Une lutte entre le despotisme et la liberté ne peut être qu’un combat à mort ; car, si la liberté est générale, le despotisme sera tôt ou tard son assassin. Qui pense autrement est un insensé, qui ne connaît ni l’histoire, ni le cœur humain, ni l’infernal machiavélisme de la tyrannie.

« Représentants, le patriotisme vous demande un décret, qui nous autorise à marcher avec des forces plus imposantes que celles que vous venez de