Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.

moulins disait, le 21 octobre 1792, de la Constitution elle-même : « Placée entre l’état populaire et l’état despotique, comme la roue d’Ixion entre deux pentes rapides, de manière que la moindre inclinaison devait la précipiter d’un côté ou de l’autre. »

La Législative allait-elle renforcer l’autorité royale ? Allait-elle développer au contraire la démocratie ? Tout d’abord, elle parut animée à l’égard de la royauté d’une sorte d’esprit ombrageux, et même, si on peut dire, de susceptibilité provinciale. Les journaux de la Cour raillaient les nouveaux législateurs venus « en galoches et en parapluies ». Ils signifiaient à l’Assemblée nouvelle que l’absence de toute aristocratie la rendait presque ridicule. La Législative eut la faiblesse de s’émouvoir de ces pointes et elle chercha à se donner, comme le disent tous ses orateurs, une « attitude imposante », un « caractère imposant ».

Mais, au lieu de chercher ce « caractère imposant » dans la fermeté de ses lois, dans la vigueur et la suite de ses décrets, elle s’attacha d’abord à des questions d’étiquette assez puériles. Réunie le 1er octobre, elle détruisit, en une de ses premières séances, le cérémonial réglé par la Constituante pour les rapports de l’Assemblée et du roi. Elle décida qu’on ne l’appellerait plus « Votre Majesté », attendu qu’il n’y avait que deux majestés : la majesté du peuple et la majesté de Dieu. Elle décida que le roi ne serait point assis dans un fauteuil doré et plus haut que celui du président, mais dans un fauteuil tout pareil.

Mais, comme le lendemain de ces décrets assez enfantins, il y eut une émotion assez vive dans la bourgeoisie parisienne, comme les anciens députés de la Constituante se scandalisèrent et gémirent, comme les actions à la Bourse baissèrent subitement sous la menace d’un conflit entre la Législative et le Roi, l’Assemblée, assez effarée, revint sur son vote. Les impétueux députés de la Gironde, qui avaient d’abord entraîné la Législative à ces manifestations un peu puériles, durent battre en retraite.

L’Assemblée choisit comme président un modéré, Pastoret, qui reçut le roi avec un discours fleuri où s’épanouissait « Sa Majesté », et qui alla jusqu’à lui dire : « Nous avons besoin d’aimer notre roi. » Tour à tour guindée et attendrie, la Législative ne prenait pas du tout, en ces premiers jours, le caractère « imposant » qu’elle avait recherché. Elle imagina aussi de donner au serment de fidélité que devaient prêter tous les législateurs, un apparat théâtral. Elle décréta qu’une députation irait chercher aux Archives l’exemplaire de la Constitution.

Ce furent les plus âgés des députés qui allèrent chercher le dépôt sacré. Quand ils rentrèrent dans l’Assemblée, elle se leva comme en une manifestation religieuse. C’était l’arche sainte qui passait. Des fervents proposèrent que pendant que la Constitution séjournerait ainsi dans l’Assemblée, aucun député ne fût admis à parler, de même qu’on ne parlait point quand le roi était présent. Devant le Saint-Sacrement de la Révolution le silence convenait.