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« Vous commencez par tonner contre les anciens ministres ; l’un d’eux restait encore, à l’époque où vous écriviez, et vous affirmiez qu’il ne prolongerait pas longtemps dans le Conseil du roi son équivoque et scandaleuse existence.

« À Dieu ne plaise qu’aucune prévention personnelle pour des ministres quels qu’ils soient, puisse influer sur mes opinions et sur mes principes : on m’a reproché ma profonde indifférence pour ceux même qui semblaient présenter des titres de patriotisme, et j’ai eu moi-même beaucoup à me plaindre de quelques-uns de ceux que vous attaquez avec tant de fureur. Mais si quelque chose pouvait me convaincre que leurs vues pouvaient être utiles au bien public, ce serait sans doute le mal même que vous en dites. Il paraît au moins que ces ministres tels qu’ils sont, avaient obtenu la confiance de l’Assemblée nationale puisqu’elle a solennellement déclaré qu’ils emportaient les regrets de la nation, et c’est à l’Assemblée nationale que vous parlez de ces mêmes hommes avec un insolent mépris ! »

Mais il faut encore que tout en paraissant les défendre contre Lafayette, Robespierre adresse aux ministres de la Gironde un trait amer. « Vous parlez de l’équivoque, de la scandaleuse existence de l’un des ministres que vous venez de renvoyer, après les avoir fait nommer vous-même. » C’est, en passant et d’un air détaché, un coup meurtrier. Les Girondins appelés au pouvoir par Lafayette ! c’était faux ; mais quelle insinuation plus redoutable au moment où Lafayette soulevait contre lui toutes les colères de la Révolution ? Il n’y avait donc pas désarmement des haines entre la Gironde et Robespierre, mais seulement une sorte de trêve politique pour faire face à l’ennemi commun.

C’est le peuple de Paris qui fera au roi, au veto, à la lettre de Lafayette, la vraie réponse. Depuis plusieurs mois, l’animation des esprits était extrême. La déclaration de guerre, l’avènement, puis la chute du ministère girondin avaient créé je ne sais quelle attente passionnée.

Le peuple avait le pressentiment que la lutte suprême entre la Révolution et la royauté était proche, et comme à la veille des grands événements, des rumeurs effrayantes se répandaient. Un moment Paris avait cru que la garde du roi méditait l’égorgement des patriotes : en tout étranger venu à Paris, les regards soupçonneux cherchaient un conspirateur. En mai l’émotion avait été si grande, si générale, que l’Assemblée législative avait dû, pendant quelques jours, siéger en permanence. Et elle avait de même décrété, pour quelques jours, la permanence des sections.

Ainsi, les citoyens qui affluaient aux assemblées de section, avaient pour ainsi dire reçu officiellement la garde de la liberté et de la patrie. Danton, sans se compromettre, sans donner ouvertement de sa personne, suivait de près ce mouvement des sections, l’animant, le conseillant. C’est vraiment en ces multiples foyers populaires, dont tous les jours les événements rallumaient