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la réputation de quelques talents militaires, était parvenu à séduire les patriotes et à se faire appeler au ministère par la voix publique.

« Le commencement de son ministère a répondu à l’attente des bons citoyens, mais il n’a pas été difficile de se convaincre que sa réputation était usurpée, et que son patriotisme n’était qu’hypocrisie. Je n’entrerai point ici dans les détails qui pourraient le prouver, ce sera l’objet de lettres particulières ; car il faut imprimer à cet homme le signe qu’il mérite, et qui puisse l’empêcher d’être dangereux pour l’avenir.

« Le sieur Dumouriez souffrait depuis longtemps avec impatience d’être associé avec MM. Servan, Clavière et Roland, d’abord parce qu’il ne les dirigeait pas, comme il l’avait espéré, et ensuite parce qu’ils osaient blâmer son immoralité, la protection qu’il accordait à des hommes corrompus et la versatilité de sa politique. Le sieur Dumouriez résolut de les perdre dans l’esprit du roi, et il y parvint aisément à l’aide de calomnies, et en les présentant comme des factieux et des républicains qui voulaient tout bouleverser. Il fallait ensuite une occasion pour réaliser les terreurs du prince. Le décret du camp de vingt mille hommes la lui fournit : le sieur Dumouriez s’éleva contre ce projet ; il fit entendre que ce plan devait favoriser le projet des factieux.

« Nous ferons observer ici que c’est le sieur Dumouriez lui-même qui, il y a plus de deux mois, et depuis n’a cessé de répéter qu’il fallait un pareil camp pour sauver Paris, dans le cas où les Autrichiens pénétreraient, et qu’il ne demandait pas mieux que de le commander. Entraîné par lui, le roi a fait redemander le portefeuille à M. Servan. »

C’est d’un ton bien languissant et bien terne, et aux récriminations gênées contre Dumouriez se mêle un vague plaidoyer pour le roi, qui semble avoir été égaré par les artifices du ministère des affaires étrangères. Était-ce l’effet de sa participation au pouvoir ministériel, ou l’humiliation du rôle de dupe qu’elle avait joué avec Dumouriez, ou la peur d’un mouvement populaire qu’elle ne dirigerait point ? La Gironde, sous le coup de l’affront royal, paraît sans ressort. Robespierre triomphait cruellement de l’incident Dumouriez : « Il y a huit jours, à peine était-il permis de parler sans éloges du ministre Dumouriez, ce n’était qu’après lui qu’on nommait les deux hommes qu’on l’accuse d’avoir fait renvoyer ; et lorsque je réclamais moi-même contre ce système de flagornerie, qui semblait près de s’introduire ici, n’étais je pas hautement improuvé par ces mêmes hommes qui veulent détruire la Constitution même, pour se venger de lui ? Je ne veux ni le défendre, ni l’excuser, ni tout renverser pour la cause de ses concurrents.

« La patrie seule mérite l’attention des citoyens. Croit-on que nous nous abaisserons au point de faire la guerre pour le choix des ministres ? Et, sous quels étendards ? Sous les étendards de ceux qui ont loué Narbonne avec plus d’énergie encore que Clavière et ses deux collègues ; qui l’ont dispensé de rendre compte, qui le défendent encore à l’envi quand toute la France l’accuse.