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je partage leur opinion, mais je ne suis pas d’accord avec eux sur les causes et sur les moyens. La patrie est en danger, lorsqu’en même temps qu’elle est menacée au dehors, elle est agitée encore par des discordes intestines ; elle est en danger lorsque les principes de la liberté publique sont attaqués ; lorsque la liberté individuelle n’est pas respectée ; lorsque le gouvernement exécute mal les lois, et que ceux qui doivent le surveiller sans cesse en négligent le soin ou ne le remplissent qu’à demi ; elle est en danger lorsque les grands coupables sont toujours impunis, les faibles accablés, les amis de la liberté persécutés ; lorsque les intrigues ont pris la place des principes et que l’esprit de faction succède à l’amour de la patrie et de la liberté. Elle est en danger lorsque ceux qui s’en déclarent les défenseurs sont plus occupés de faire des ministres que de faire des lois.

« La patrie est en danger, mais est-ce d’aujourd’hui seulement ? et n’est-ce que le jour où il arrive un changement dans le ministère et dans la fortune ou les espérances des amis de quelques ministres que l’on s’en aperçoit ? Pourquoi donc ce jour est-il celui où on retrouve tout à coup une fougueuse énergie pour donner à l’Assemblée nationale et à l’opinion publique un grand mouvement ? Est-ce que de tous les événements qui peuvent intéresser le salut public, le renvoi de MM. Clavière, Roland et Servan est le plus digne d’exciter l’intérêt des bons citoyens ? Je crois, au contraire, que le salut public n’est attaché à la tête d’aucun ministre, mais au maintien des principes, au progrès de l’esprit public, à la sagesse des lois, à la vertu incorruptible des représentants de la nation, à la puissance de la nation elle-même.

« Oui, il faut le dire avec franchise, quels que soient les noms et les idées des ministres, quel que soit le ministère, toutes les fois que l’Assemblée nationale voudra courageusement le bien, elle sera toujours assez puissante pour le forcer à marcher dans la route de la Constitution ; au contraire, est-elle faible, oublie-t-elle ses devoirs ou sa dignité ? la chose publique ne prospérera jamais. Vous donc, qui faites aujourd’hui sonner l’alarme, et qui sûtes donner à l’Assemblée nationale une si rapide impulsion lorsqu’il s’agit d’un changement dans le ministère, vous pouvez exercer dans son sein la même influence dans toutes les délibérations qui intéressent le bien général ; le salut public est entre vos mains ; il vous suffira de tourner vers cet objet l’activité que vous montrez aujourd’hui.

« Il vaut mieux, pour les représentants de la nation, surveiller les ministres que de les nommer. L’avantage de les nommer ralentit la surveillance, il peut égarer ou endormir le patriotisme même. Il n’est rien moins que favorable à l’énergie de l’esprit public ; il est fatal à celui qui doit toujours animer les sociétés des amis de la Constitution. Depuis le moment où nous avons vu naître ce ministère que l’on a nommé jacobin, nous avons vu l’opinion publique s’affaiblir et se désorganiser ; la confiance aux ministres semblait substituée à tous les principes ; l’amour des places dans le cœur de beau-